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Dans le quartier de la Montagne-Verte, l’ennui semble habiter certains jeunes au point de les pousser à troubler la tranquillité des lieux. Le manque de budget qui leur est dédié et la carence en espaces publics sont au cœur du problème. 

En pénétrant dans le centre socioculturel (CSC) de la Montagne-Verte ce mardi 19 novembre au soir, on entend des rires provenant de l’étage. Comme souvent après l’école, certains collégiens du quartier se retrouvent là pour prendre le goûter. Du rez-de-chaussée, Kévin Canavy, coordinateur jeunesse depuis onze ans, lance un "Babyfoot ?" enthousiaste. Des pas précipités dévalent l’escalier en PVC jaune. Un garçon d’une dizaine d'années au large sourire apparaît. Au creux de ses mains : trois perles de coco qu’il tend à l’animateur.

La bonne ambiance qui règne à l’intérieur du centre contraste avec les vitres brisées de la façade. "Ça, c’est des jeunes qui s’ennuient", déplore Kévin en pointant les dégâts. Plus bas dans la rue d’Ostwald, à deux pas de l’arrêt de bus Elmerforst, Abdel, 19 ans, tire sur son joint, bouteille d’Oasis à la main : "J’aime pas Montagne-Verte. Y’a rien ici, c’est vide." Le jeune homme n’a pas toujours été critique à propos du quartier. "Il y a huit-neuf ans, on allait à Europa-Park avec le CSC. Maintenant y’a plus de budget pour faire des meilleures sorties." Abdel se désole de voir certains jeunes de son quartier "cramer des trucs", mais il estime que "s’ils dealent, c’est de l’ennui, parce que leur frigo il est pas vide."

Des débuts difficiles

Au numéro 10 de la rue, le CSC a eu des difficultés à voir le jour. En 1979 naissait chez les membres de l’association socioculturelle l’idée de construire un lieu d’accueil et de rencontre pour les habitants du quartier. Un bâtiment provisoire était alors érigé pour cinq ans. Mais les changements de maires successifs avaient peu à peu conduit à l’abandon du projet. En 2006, les préfabriqués étaient détruits, laissant derrière eux un terrain vague. C’est le retour du maire socialiste Roland Ries qui a finalement permis la signature du projet de construction. Le 9 octobre 2010, le centre tant attendu est inauguré.

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Des jeunes qui s'ennuient auraient brisé les vitres du CSC de la rue d'Ostwald.
© Thomas Ancelin

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Loin des 1 200 m² initialement prévus, les jeunes ont hérité d'un local étroit. © Esther Dabert

Quatorze ans plus tard, les jeunes qui fréquentent désormais le centre n’ont rien connu des incidents de 2010, pourtant, Kévin l’assure : "Je sens encore les tensions." Pour lui, le ressentiment se transmet de génération en génération. Il estime que même si "on fait beaucoup pour eux, on sait pas s’ils pourront oublier le mal qu’on leur a fait à l’époque".

À qui la faute ?

Anissa* habite près du parc du Gliesberg depuis plus de vingt ans. Elle adore son quartier et n’en changerait pour rien au monde. Ni elle ni ses deux enfants ne fréquentent le CSC, pourtant, la mère de famille ressent elle aussi les tensions qui animent la Montagne-Verte. D’un œil attentif, la maman surveille son fils qui déambule à travers les allées sur sa trottinette. Elle désigne du doigt un carré d’herbe verte : "Une fois, les enfants ont trouvé un fusil dans le parc et un sachet avec des balles." 

Dans le rapport d’activité de la même année, Philippe Krafft, alors président du CSC écrivait : "Nous avons décidé de construire notre projet en nous adaptant aux jeunes." Rétrospectivement, les promesses ne semblent pas avoir été tenues.

Contrairement au projet annoncé, les 1 200 m² prévus sont divisés entre le social et le médical et l'espace jeune se trouve relégué dans un local étroit. "C’est dans le couloir qui mène aux toilettes", lâche Kévin avec amertume. Les ados du quartier avaient pourtant été consultés afin de schématiser leurs attentes à propos du futur lieu. "Les jeunes ils y croient quand ils posent leurs dessins", regrette l’animateur. Leur déception est d’autant plus grande qu'ils "pensaient que tous les étages seraient à eux". Insultes, dégradations materielles, agressions ; dès l’ouverture du centre, des jeunes s’en prennent au personnel du CSC. "Ça a été un ascenseur émotionnel pour les ados de l’époque. Ça a suffi pour qu’ils pètent les plombs."

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Kévin Canavy présente le sous-sol de l'église du Sacré-Cœur où les jeunes ont été temporairement accueillis après les incidents de 2010. © Esther Dabert

Pour elle, le problème n’est pas le manque d’activités mais d’espaces. Elle pointe le pont : "Moi, je ne dépasse pas cette frontière". Ce qui fait peur à Anissa, ce sont ces jeunes âgés de 15 à 25 ans, qui se réunissent habituellement dans la cité voisine du Murhof. Leur attitude hostile et l’odeur de cannabis qu’ils dégagent justifient à ses yeux qu’elle interdise à ses enfants de fréquenter "ces gens-là". La mère de famille rêve d’un endroit qui permettrait de les tenir à distance : "La mairie doit faire son travail." Hamid Loubardi, représentant du quartier pour la commune de Strasbourg, estime quant à lui que la Ville n’est pas à blâmer pour ces troubles à l’ordre public. Il pense que "c’est une question d’éducation. Il faut que les parents soient aussi responsables." 

Flora, 20 ans, travaille à la boulangerie Carciofi, face aux tours du quartier prioritaire du Molkenbronn. Pour elle, ce n’est pas une question d’espace, ni d’éducation mais une question d’âge. En 2016, sa mère est contrainte de déménager : "Ils faisaient des tirs de mortiers dans les caves, la fumée remontait par les aérations, c’était devenu trop désagréable." Pourtant, elle tempère, amusée : "On a tous fait des conneries !"

Consciente de ces préoccupations, la municipalité strasbourgeoise semble pourtant engager une réflexion autour de cette problématique. Dans le projet de territoire dévoilé début juillet visant à redynamiser le quartier, les collectifs d’habitants, associations et services de la mairie se sont entendus sur un renforcement des espaces publics adaptés aux jeunes. Si l’initiative semble répondre aux demandes des citoyens, elle n’en est pour le moment qu’au stade des discussions. D’après Kévin, les moyens alloués au centre socioculturel "viennent d’être diminués de moitié par rapport à l’année dernière", ce qui rend d’autant plus saillant le manque de volonté politique.

Esther Dabert et Valentine Lécayon

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Depuis l’aire de jeux du Gliesberg, on aperçoit le pont de bois qui fait office de frontière avec la cité du Murhof.  © Valentine Lécayon

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