27 mars 2019
La directive européenne "droit d’auteur dans le marché unique numérique" a été adoptée ce mardi 26 mars par le Parlement européen. Fruit de trois ans de négociations, elle a été vivement combattue par les GAFA et les partisans d’un Internet libre.
Sur les pancartes, les tee-shirt, les dépliants, un message : “Yes to Copyright”. Ce mardi 26 mars, le collectif de créateurs et de militants Europe for Creators est venu manifester en faveur de la directive droit d’auteur. Face au Parlement, percussions, trompettes et saxophones rythment les mouvements des drapeaux. Ils sont une cinquantaine à réclamer davantage de droits pour les artistes, éditeurs et journalistes sur le numérique. “On veut juste récolter les fruits de notre travail”, affirme Juliette Metz, éditrice de musique.
En effet, les géants du web, appelés GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple notamment), sont accusés de tirer d'immenses profits des contenus publiés sur Internet (articles, vidéos, musiques…) sans rémunérer suffisamment les industries culturelles et de la presse qui les produisent.
Un rapport de force que le Parlement européen tente de rééquilibrer avec sa directive droit d’auteur sur le numérique. Après deux ans et demi de débats houleux, les députés l’ont finalement adoptée avec 348 voix pour et 274 contre. Un résultat serré malgré l’accord trouvé à l’issue d’un trilogue entre le Parlement, la Commission et le Conseil de l’Union européenne.
Un texte polémique
Certaines mesures du texte ont fait l’objet de vives controverses. C’est le cas de l’article 17, qui stipule que c’est l’hébergeur qui sera tenu responsable de la circulation d’une oeuvre protégée sur son réseau, et non plus l’internaute qui l’a publiée. Pour faire face à cette responsabilité nouvelle, des plateformes comme YouTube ou Facebook pourraient utiliser des filtres pour supprimer automatiquement le contenu soumis à un droit d’auteur, ce que craignent les défenseurs de la liberté d’expression sur Internet. Pour l’eurodéputée allemande Julia Reda (Les Verts), unique membre du Parti pirate au Parlement et farouche opposante à la directive, “les filtres automatisés ne sont pas capables de faire la différence entre les contenus soumis à un droit d’auteur ou non”.
Le collectif Europe for Creators a exprimé son soutien à la directive devant le Parlement européen. © Benjamin Martinez
De leur côté, les géants du web redoutent que la multiplication des accords avec les ayants droit n’affecte leur modèle économique. Pour les start-ups, plus vulnérables, le texte prévoit une dérogation si elles remplissent trois conditions : avoir moins de trois ans, un chiffre d’affaires annuel inférieur à dix millions d’euros et moins de cinq millions de visiteurs par mois.
Autre point de crispation, la disposition créée pour les acteurs de la presse, qui ne peuvent pas bénéficier du droit d’auteur. C’est ce qu’on appelle le droit voisin. Un système de contrats qui permettra aux journalistes et éditeurs de presse d’être rémunérés par les plateformes relayant leurs contenus sur le numérique. Les agrégateurs d’information comme Google News, devront désormais se contenter d’extraits d’articles, faute de quoi ils devront reverser une contribution aux publieurs.
Le rapporteur allemand Axel Voss (PPE, chrétiens démocrates), soulagé après l'adoption de la directive. © Benjamin Martinez
Cette nouvelle directive s’inscrit donc dans une logique d’harmonisation des juridictions européennes. Elle entend simplifier la collecte des droits, et la rendre incontournable par les GAFA. Ainsi, les institutions comme la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) en France, ou son équivalent allemand, la Gema, devraient pouvoir obtenir plus aisément des rémunérations plus justes pour les créateurs de contenu.
Un vote sous pression
La controverse autour des nouvelles mesures sur les droits d'auteurs n’a eu de cesse d’être alimentée par les interventions des lobbies. D’abord discret, Youtube a par exemple pleinement assumé son hostilité envers la directive par la suite. La plateforme a contacté à plusieurs reprises ses youtubeurs pour leur présenter le texte comme destructeur. Par ailleurs, les GAFA ont envoyé de nombreux mails aux députés européens, parfois même des menaces. “On a été bombardés par des mastodontes financiers”, s’est plaint mardi dans l’hémicycle, l’eurodéputé français Jean-Marie Cavada (ALDE, libéraux).
Les géants du numérique ne sont pas les seuls à avoir tenté d’exercer une pression sur les institutions européennes pour orienter le débat. Une pétition mise en ligne par le collectif anti-directive Save your Internet a recueilli 5 millions de signatures. De l’autre côté, 171 artistes français ont écrit une tribune dans le JDD, pour appeler à une rémunération plus juste sur le web.
Les pays européens ont désormais deux ans pour se conformer à la nouvelle directive sur les droits d’auteur, en la transposant dans leur droit national. L’examen du texte dans les Parlements nationaux pourrait donner l’occasion aux GAFA de poursuivre leur lutte d’influence. La controverse suscitée par la directive, est loin d’être close.
Benjamin Martinez, Stacy Petit