En 2003, News d’Ill tirait le portrait de cette femme de 27 ans qui voulait voir son pays évoluer après 12 ans d’indépendance chaotique. Désabusée, elle n’envisage plus d’y retourner depuis qu’elle s’est installée aux États-Unis.
Devenue psychologue, Tsira a refait sa vie aux États-Unis. Elle entretient la culture de son pays natal en parlant géorgien avec son conjoint, expatrié lui aussi, et en cuisinant des plats typiques géorgiens. © Tsira Svanadze
Le bleu des yeux de Tsira Svanadze est toujours aussi limpide, même à travers l’écran d’un smartphone, à 9@nbsp;000 kilomètres de Tbilissi. Ses ambitions de « comprendre mai 68 et l’émancipation des femmes pour amener ces idées » en Géorgie ne se sont pas réalisées. Il y a 20 ans, son portrait ouvrait notre magazine News d’Ill. Mariée à 17 ans, mère à 18, divorcée à 24, et marquée par la guerre civile en Abkhazie, son parcours illustrait l’évolution d’un pays libéré du joug russe.
Après son départ aux États-Unis en 2007 pour des études de langues, Tsira n’a jamais fait demi-tour. « Il n’y a pas de barrières ici, et davantage d’opportunités », dit en français la femme de 47 ans jointe en visioconférence. Vivant à Chicago, elle est devenue psychologue et a refait sa vie outre-Atlantique. Elle n’est pas la seule à avoir quitté le navire : sa sœur est aussi en Amérique et sa fille de 30 ans, Nita, s’est installée à Samsun en Turquie.
À Koutaïssi, sa ville d’origine, il ne reste plus que ses parents. « Parmi mes amis, tout le monde a émigré en Europe ou aux États-Unis. Je fais partie de la génération perdue. » Et quand elle leur a rendu visite pour la première fois après 11 ans, en décembre 2021, le choc a été brutal. « J’ai beaucoup pleuré. J’ai vu du désespoir partout. » Des immeubles ont poussé, les villes se sont métamorphosées. « C’est dégueulasse, il n’y a plus d’espace vert, de parc. »
Loin des yeux, près du cœur
Avant de s’envoler pour l’Amérique, les manifestations de 2003 et le changement de pouvoir en 2004 lui avaient fait nourrir beaucoup d’espoir. « C’était la révolution, je pensais que quand j’allais revenir, j’allais pouvoir travailler pour mon État. » Désillusion. « Beaucoup de choses ont changé, mais pas dans le bon sens. Tout le monde pense pour soi et pour sa poche. » Depuis l’Illinois, Tsira porte un regard bien pessimiste sur le futur de la Géorgie. « Je suis déçue du gouvernement actuel, c’est douloureux de voir qu’il se rapproche de la Russie. » Et sur la question de l’intégration à l’Union européenne, son avis est mitigé : « Je suis pour, mais pas avec la mentalité actuelle des Géorgiens. Il faut changer de valeurs, garantir l’égalité hommes-femmes, l’accès à l’éducation, à l’assurance santé… »
Dépitée, la quadragénaire ne se voit plus retourner vivre dans son pays natal. « Il n’y a rien de bon là-bas », souffle-t-elle en évoquant tout de même une nostalgie de Koutaïssi et son pont blanc. « J’en rêve souvent. Mais j’ai recréé ma Géorgie ici : je me suis remariée avec un expatrié, donc on parle géorgien et je cuisine des khachapouri, des lobianis, des aubergines… »
« Elle a désormais la ferme intention de se réaliser en Géorgie », concluait notre portrait écrit en 2003. Une ambition abandonnée. Ses espoirs d’un renouveau géorgien, Tsira les reporte désormais sur « la nouvelle génération ».
Camille Aguilé
Luc Herincx