18 décembre 2007
Installée au sein de l’Etat-major, la cellule civile-militaire ne fait pas l’unanimité au sein des Etats membres. Elle affiche cependant la volonté de l’UE d’être autonome en matière opérationnelle.
150, avenue de Cortenbergh, à Bruxelles. Siège de l’Etat-major de l’union européenne (EMUE). Les mesures de sécurité y sont draconiennes. Passage aux rayons X puis fouille. Caméras, appareils photos et clefs usb doivent être laissés dans un casier. Les murs des couloirs sont couverts d’insignes et de photos militaires. Dans les bureaux, il n’y a que des hommes, en uniforme, penchés sur les ordinateurs. Impossible d’en savoir davantage car il est formellement interdit aux visiteurs de se promener seuls.
C’est dans ce bâtiment que se trouve le centre d’opérations, conçu pour conduire des actions militaires et civiles de l’Union européenne.
Secret défense oblige, il est impossible d’y pénétrer. «C’est une grande pièce, avec 56 ordinateurs, des systèmes radars et une partie aménagée pour les visioconférences afin de communiquer avec les hommes sur le terrain, décrit le général Giovanni Manione, directeur de la cellule civile-militaire, dont dépend le centre d’opérations. Il est prévu pour conduire des opérations de 2000 hommes.»
Pas de doublon avec le Shape
Même s’il n’est pas activé (il l’a été seulement une fois dans le cadre de l’exercice Milex 2007), huit militaires sont chargés de maintenir les structures : c’est-à-dire de veiller au bon fonctionnement des installations techniques et de mettre à jour les données des Etats membres. Le 23 septembre, dans un discours pronconcé à l’Institut français des relations internationales, Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes a déclaré qu’il fallait «aller plus loin à travers l’activation d’un centre de planification et de conduite d’opérations permanent de l’Union européenne à Bruxelles».
Décidée en avril 2003 lors d’un sommet Défense à Bruxelles, la cellule civile-militaire a été mise en place en juin 2005 à l’issue d’un compromis. «Initiée par la Belgique, l’idée était de créer un quartier général permanent à Tervuren (20 km à l’est de Bruxelles)», indique Claude-France Arnould, directrice pour les questions Défense au Secrétariat général du Conseil de l’UE.
«L’Allemagne, la France et le Luxembourg ont soutenu le projet mais la Grande-Bretagne était contre, note Didier Lenoir de la direction «Questions Défense» au Secrétariat général du Conseil. Elle voyait dans cette idée une duplication du quartier général de l’Otan, le Shape.»
L’objectif était de coordonner le civil et le militaire pour avoir une approche plus cohérente dans le cadre des actions de prévention ou de gestion de crise.
Marier civil et militaire
Pour certains experts qui souhaitent garder l’anonymat, aujourd’hui, «le centre d’opérations est une coquille vide», pour d’autres c’est une structure qui a besoin de temps «car l’Europe de la défense est encore jeune.»
«Le problème du centre d’opérations c’est qu’il ponctionne les ressources en homme de l’EMUE, note Christine Roger, Ambassadeur de France au Comité Politique et de Sécurité (COPS). Au final, c’est l’Etat-major qui ne peut plus tourner. Lors de la présidence française nous souhaitons discuter avec les Etats membres pour augmenter les capacités humaines et financières.» L’EMUE rassemble 150 hommes dont seulement une vingtaine travaillent pour la cellule.
Elle a aussi pour mission de planifier les opérations. «Planifer c’est trouver comment coordonner l’action de la cellule (et donc du Conseil) avec celle de la Commission», explique le général Manione.
Une fois que le Conseil des ministres de l’UE a adopté le concept de gestion de crise, le document politique décrivant les grandes options stratégiques pour répondre à une crise donnée, la cellule propose différentes options stratégiques : intervention civile, militaire, mixte ou de police. «Aujourd’hui tout cela ne fonctionne pas encore parfaitement, souligne le général Manione. Le texte qui établit ce que fait la cellule est peu clair. Par exemple, elle devait établir des scénarios de crises. Jusqu'à présent elle ne l’a pas encore réalisée.»
Des moyens d’opérations existent. Faut-il encore pouvoir les activer ? Cela suppose de convaincre les partenaires et nécessite un effort de coordination car, comme se lamente le général Manione, «jamais un plan n’a été préparé avec les militaires et le support de la Commission pour l’aspect civil. Or pour qu’une opération soit pleinement efficace, il faut que les deux travaillent ensemble.» Ceci est un des enjeux de la politique européenne de sécurité et de défense, une priorité de la future présidence française.
Stéphanie De Silguy
à Bruxelles
Il manquerait dix hélicoptères et trois avions. Voilà ce qui expliquerait que la force européenne ne soit toujours pas déployée au Tchad et en République centrafricaine. Mandatée par l’ONU le 15 octobre pour y sécuriser les alentours des 11 camps de réfugiés des conflits soudanais, la mission Eufor aurait dû arriver sur place au début du mois de décembre. La plupart des Etats affirment désormais que leurs capacités militaires sont saturées et qu’ils sont dans l’impossibilité de fournir davantage de matériel. «Pure prétexte» rétorque t-on à la représentation permanente française à Bruxelles.«Il y a 1300 hélicoptères en Europe. C’est un manque de volonté. Tout est politique».
La France fournira le plus gros des troupes avec 1700 hommes, suivie de la Pologne, de l’Irlande (400 chacun), de la Suède (250), de la Roumanie (150), de la Belgique et de l’ Autriche (100 chacun). Côté matériel, l’Espagne mettra deux avions à disposition de l’opération et les Italiens se sont récemment engagés à fournir l’hopital d’Abéché. Deux pays majeurs, l’Allemagne et le Royaume-Uni restent absents.
Si les Anglais ont d’abord soutenu l’opération a l’ONU aux côtés de la France, ils refusent aujourd’hui d’y participer concrètement. «Les Anglais, c’est presque dogmatique, ils refusent de voir se développer la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) affirme le colonel Cyrille Claver, responsable de la gestion militaire de la crise au Tchad à la représentation française. «Quant à l’Allemagne, elle nous fait payer de l’avoir emmenée en République démocratique du Congo l’an dernier. Les Allemands ne veulent plus venir en Afrique avec nous».
«Nous arriverons encore des millions de morts trop tard»
Sur les 100 millions d’euros de fonds commun votés par le Conseil pour l’opération Eufor Tchad RCA, l’Allemagne contribuera à hauteur de 20 millions, le Royaume-Uni donnera 17 millions et la France 16 millions, selon le principe des clés de répartition qui impose que les grands pays paient plus que les petits. Le pot commun ne tient cependant pas compte des coûts de fonctionnement des troupes sur le terrain (déplacement, nourriture, salaire...). Et comme chacun paie pour ses soldats, le déploiement de 1700 hommes au Tchad et en Centrafrique pendant un an coutera près de 200 millions d’euros à la France. «L’Allemagne raconte qu’elle est le plus gros contributeur, c’est pervers car elle présente comme un cadeau sa contibution obligatoire au fonds commun. La vérité c’est qu’elle ne veut pas mettre un seul soldat sur le terrain, Angela Merkel l’a répété à Nicolas Sarkozy récemment", indique le colonel Claver.
Si les blocages persistent c’est aussi en raison des doutes régulièrement émis par les Etats membres concernant les motivations françaises. L’Autriche a ouvertement soupçonné la France de vouloir soutenir Idriss Déby, le président tchadien en proie à une rebellion. Selon un haut gradé belge,«les Français vont aussi chercher des contrats au Tchad. Quand il faudra reconstruire, ce sera autant de contrats potentiels pour leurs entreprises. Et puis s’ils sont si pressés, ils n’ont qu’à fournir les hélicoptères, ils ont les moyens d’y aller seuls.» Quant aux petits pays, comme la République tchèque, leur principale crainte serait de déplaire à l’Otan en fournissant des moyens aériens pour le Tchad plutôt que pour l’Afghanistan. Selon certains observateurs, les Français auraient pu se contenter de renforcer le dispositif Épervier présent au Tchad depuis 1986 et qui soutient le gouvernement tchadien dans les domaines du renseignement, de la logistique et de la santé. «Si la France a refusé de fournir plus de 50% des besoins de cette mission, c’est pour ne pas être accusée de soutenir Idriss Déby, racontent les militaires français. Sur place il y a déjà beaucoup de Français dans le cadre de la mission Épervier. Si les Français étaient considérés comme affiliés à Déby, les hommes mais aussi les organisations non gouvernementales seraient en danger» préviennent-ils.
Bien plus que le manque d’hommes et de matériel, c’est l’absence de confiance entre les partenaires européens qui entrave le développement des missions de sécurité et de défense européennes. Et tandis que l’ère du soupçon règne sur Bruxelles, les parlementaires européens s’inquiétent du résultat. «Nous arriverons encore des millions de morts trop tard», s’insurge la député portugaise, Ana Maria Gomes.
Anne-Louise Sautreuil à Bruxelles
«On ne peut avancer dans un domaine aussi sensible que la défense sans une légitimité démocratique complète, écrit Hubert Haenel, sénateur du Haut-Rhin sur son site Internet. Le contrôle national ne peut suffire.» L'envoi des troupes à l'étranger, l'évaluation de l'effort budgétaire, le choix de l'équipement... Autant d'éléments de la politique européenne de sécurité et de défense européenne (PESD) qui, actuellement, ne bénéficient d'aucun contrôle parlementaire conjoint. Chaque parlement national vote actuellement les crédits affectés à la défense et aux missions internationales, sans aucune procédure de concertation. «Au Tchad, par exemple, il manque des forces logistiques, rappelle Corinne Caballero-Bourdot, en charge des relations extérieurs de l’Assemblée de l’UEO. Un contrôle parlementaire adéquat permettrait d'avoir une vision globale des besoins.»
Parlement européen, parlements nationaux ou encore Assemblée de l'UEO : diverses institutions sont évoquées pour assurer un contrôle démocratique de la PESD. Pour Karl von Wogau, «l'unique solution est une coopération étroite entre les parlements nationaux et le Parlement européen». Dans cet esprit, le président de la commission Défense du Parlement européen est en train de créer une fondation en collaboration avec Guy Tessier, président de la commission parlementaire de l'Assemblée. La première réunion a eu lieu le 27 novembre 2007. Pourtant, aucun élément dans les déclarations de la future présidence française ne laisse présager le traitement de cette question.
Emmanuelle Ferrandini