A quelques mois de l'élection présidentielle iranienne qui désignera le successeur d'Ahmadinejad, le président se retrouve isolé au sein du régime et fait face à la fronde de ultra-conservateurs. Pour Bernard Hourcade, directeur de recherche sur l'Iran au CNRS, la fin d'Ahmadinejad correspond au début d'une nouvelle phase pour la République islamique. Dans un entretien à Cuej.info, il revient sur le bilan d'Ahmadinejad et l'évolution du régime.
Comment analysez-vous les luttes de pouvoir qui secouent le régime iranien ?
Ce qu'il faut comprendre, c'est que ce sont tous des membres d'une même famille politique, il n'y a pas d'opposant au Guide suprême dont l'autorité morale n'est pas remise en cause. Ces luttes de pouvoirs sont intrinsèques au sein des conservateurs. En fait, il s'agit de querelles de personnes plus que de différences idéologiques. C'est un jeu politique qui démontre une certaine maturité du régime iranien. Au final, les dissensions qui traversent le courant conservateur sont de la rigolade en comparaison aux divisions de l'UMP.
Depuis 2011, Mahmoud Ahmadinejad a été peu à peu mis à l'écart par le Guide suprême. Comment l'expliquez-vous ?
Ahmadinejad n'est pas du sérail. Il n'est pas issu d'une dynastie militaire, ou d'une grande famille de l'aristocratie. C'est le fils d'un forgeron qui a fait des études universitaires et intégré l'administration d'Etat. Les élites politiques pensaient en faire un pantin et ont toujours eu un certain mépris envers lui. Mais Ahmadinejad s'est émancipé de leur tutelle et s'est octroyé plus de liberté dans la prise de décision. Un acte que les radicaux n'ont pas apprécié et veulent lui faire payer.
Après huit ans à la tête du pays, quel est le bilan politique d'Ahmadinejad ?
C'est un libéral tant au niveau politique qu'économique. Sur les sujets de société, il a fait preuve d'une grande ouverture, notamment en proposant que les femmes puissent accéder aux compétitions sportives. Il a également une vision libérale de l'application de l'islam et s'est toujours opposé à ce qu'on impose aux femmes de porter le tchador.
Même si il a tenu des discours agressifs contre Israel et les Etats-Unis, il a très vite compris l'importance de négocier avec les Américains pour trouver une solution sur le dossier du nucléaire. C'est le Guide suprême qui s'est opposé à tout accord ou discussion avec les Américains jusqu'à présent.
Certains évoquent un scénario à la Medvedev-Poutine qui permettrait à Ahmadinejad de revenir à la tête du pays dans quatre ans. Est-ce envisageable ?
Non c'est impossible. Il faut comprendre qu'Ahmadinejad est en position de faiblesse et ne pourra pas imposer son successeur. Il n'a pas le réseau nécessaire pour cela. Que se soit Ali Larijani, Rahim Mashaie, ou un autre apparatchik du régime, au final, c'est le Guide suprême qui décidera de la politique à venir en Iran.
Dans ce cas, comment va évoluer la situation après l'élection ?
L'événement majeur des trois derniers jours, c'est que l'Iran a accepté de prendre des contacts avec l'administration américaine sur le dossier du nucléaire. Le Guide suprême n'est plus opposé à cette solution, le régime a compris l'importance de régler ce problème. C'est une nouvelle phase qui s'ouvre pour la République islamique, une phase plus rationnelle dans son rapport au monde. Les dirigeants se rendent compte que le printemps arabe a rebattu les cartes dans la région et que les problèmes des pays arabes ne viennent pas d'Israel mais de l'Arabie Saoudite.
Quelle sera la place du courant réformateur dans un Iran dit rationnel ?
On dit que le courant réformateur est à bout de souffle depuis l'échec des manifestations de 2009, mais je pense qu'il s'est développé. En fait, il a pénétré les sphères du pouvoir. Aujourd'hui, il y a de nombreux réformateurs dans l'entourage du Guide suprême qui ont une vision plus ouverte des réformes politiques et sociales. Le courant réformateur dispose d'une base populaire massive car la société a évolué. On peut imaginer que peu à peu, le Guide suprême va perdre ses prérogatives au profit du Parlement et du Président élu. Il deviendra une sorte de reine d'Angleterre à la portée morale et symbolique.
Propos receuillis par Geoffrey Livolsi