Pour certains, c'est de la dégradation de bâtiments. Pour d'autres, c'est une forme d'art et d'expression à part entière. Les tags sont partout. Tellement nombreux que l'on n'y fait même plus attention. Laura (le prénom a été modifié) est l'une de ces ombres de la nuit qui, bombe de peinture au poing, aposent leur signature sur les murs de Strasbourg.
Il est 1h30 du matin : Laura, 21 ans, sort de chez elle. Elle porte un gros pull qu'elle ne craint pas de tacher et un bonnet sombre sous lequel elle cache ses longs cheveux blonds. A chacun de ses pas, on entend un drôle de cliquetis depuis le fond de son sac en bandoulière. Des feuilles cartonnées en dépassent. Laura se dirige vers le campus universitaire de Strasbourg. Pour la première fois depuis le début de l'hiver, elle retourne taguer.
« Je peins depuis que je suis toute petite. Et je crois que le tag m'a toujours attirée, explique-t-elle. Je pense qu'un jour, ça a dû m'échapper : «Tiens ! Si on allait taguer !" ». Les premiers temps, l'adolescente va griffonner sur les murs de bâtiments à l'abandon avec des copains, à Mulhouse. « Ça n'avait rien d'artistique à l'époque, c'était plutôt pour jouer les rebelles », reconnait-elle.
Après son baccalauréat, Laura rejoint une fac d'art, à Strasbourg. Elle oublie les tags quelques temps, convaincue qu'elle manque de talent. Et puis, il y a un an et demi, elle visite l'exposition d'un collectif de tagueurs et, inspirée, elle se lance à nouveau. Laura trouve sa technique : elle fait ses tags au pochoir, des figures qu'elle dessine et découpe elle-même. Sa marque de fabrique : un profil d'indien d'Amérique avec une coiffe traditionnelle. Pour elle, taguer n'est pas seulement un art, c'est aussi une manière de se créer de bons souvenirs.
Laura tague toujours le même motif : une tête d'indien d'Amérique, sa marque de fabrique. Crédit photo : Mélina Facchin
La jeune fille a l'air sage, elle est féminine, loin du cliché que l'on peut se faire d'une tagueuse. Contre toute attente, elle embrigade son meilleur ami dans son projet. Durant les beaux jours d'été, les deux étudiants sortent taguer, elle avec ses pochoirs d'indien, lui son logo de Batman. Pour échapper au regard des caméras de surveillance et pour rajouter « au fun », ils dégainent des masques de Spiderman. Au delà du côté esthétique et symbolique du tag, que Laura revendique sans jamais prétendre être une artiste, ces moments de petite criminalité partagée les électrisent. « Ça peut paraître ridicule, mais pendant cinq minutes, tu te sens un peu le roi du monde », confie Laura.
Laura va exclusivement taguer la nuit, le meilleur moment pour éviter de se faire repérer. Crédit photo : Mélina Facchin
En étant attentif, on peut remarquer les indiens de Laura dans plusieurs coins de Strasbourg. Sur des bancs, des marches, des trottoirs, un pont... La jeune fille multiplie les expériences, change de supports. « Taguer, c'est un truc très addictif. Un peu comme les tatouages, décrit-elle. Plus tu tagues, plus tu as envie de taguer. » Quand on lui demande si elle a l'impression de dégrader les bâtiments, elle réplique qu'elle ne tague pas n'importe où. « Je ne vais pas le faire sur les beaux bâtiments ou les maisons. Ça reste toujours des petits tags discrets, sans incidence.» C'est en tout cas ce qu'elle croit, même si la loi ne le voit pas du même œil.
La méthode phare de Laura, c'est le tag au pochoir. Crédit photo : Mélina Facchin
Laura ne parle de ses escapades nocturnes qu'à très peu de personnes. Beaucoup de ses amis « ne comprendraient pas, me prendraient pour une folle », estime-t-elle en riant. Certains de ses proches ont déjà repéré les indiens de Strasbourg, sans savoir qu'elle en était à l'origine. L'idée la fait sourire. Et lui fait réaliser qu'elle non plus ne connaît pas l'identité des autres tagueurs de la ville. « C'est dingue ! Il y a des tags partout quand on regarde. Avec toujours les mêmes signatures : Olaf, IDfix, Vomito... Pourtant, je ne les ai jamais croisés. »
La nuit est terminée. Trois nouveaux indiens se sont invités en Alsace.
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Mélina Facchin