18 octobre 2018
Au sein des la réserve, 80 kilomètres de chemins, officiels et raccourcis, sont recensés. L'enjeu de la consultation est la préservation de l'écosystème, notamment des zones de nidification, ainsi que la sécurisation du site à certains endroits. Cuej/Augustin Campos
L’Eurométropole a engagé il y a deux ans l’élaboration d’un nouveau plan de circulation au sein de la Réserve naturelle du Neuhof-Illkirch Graffenstaden. Début novembre, elle va lancer la concertation qui vise, en plusieurs étapes, à intégrer les usagers de l’immense forêt (950 hectares) au processus de décision concernant les 80 kilomètres de chemins officiels et improvisés aujourd’hui recensés. Adrien Schverer, conservateur responsable de la gestion des espaces naturels à l'Eurométropole, explique l’importance de cette nouvelle étape pour la réserve.
Cuej info: Pourquoi revoir le plan de circulation au sein de la forêt?
A. S.: «On a là des milieux qui ont subi beaucoup de pression et de modifications au cours des 150 dernières années, grosso modo, avec d’une part des gros travaux hydrauliques qui ont mené aujourd’hui à la canalisation du fleuve, qui a en fait coupé le lien entre le fleuve et la forêt. C’est ce lien qui faisait la richesse de ces milieux, parmi les plus riches d’Europe.
En plus de ça, du côté alsacien il y a une très forte pression foncière, à la fois du fait de projets urbains vastes notamment autour de la ville de Strasbourg, et aussi une grosse pression en termes d’usage du sol avec les évolutions agricoles, notamment tout ce qui culture de maïs. En1960/70, 90 % de ces milieux étaient détruits.»
Cuej info: Mais le classement en Réserve nationale naturelle n’arrive qu’en 2012…
A. S.: «La décision de la classer en réserve nationale naturelle était déjà effective dans les années 1980. Entre la décision et le classement effectif, le laps de temps est énorme: il y a de nombreuses négociations, avec des procédures compliquées et longues.
Entre temps, on a amenagé les forêts pour l’accueil du public, afin que celui-ci se rende compte de la richesse de l’endroit. On comptait sur les usagers pour se l’approprier et le protéger. Du coup, on a fait des aménagements importants dans les années 1980/90 : des passerelles, une piste cavalière, des parcours sportifs et un parcours botanique.
Et entre 1990 et 2012, ces aménagements ont vécu, les usagers se les sont appropriés et ont crée petit à petit des raccourcis entre les chemins. Cela a crée au total plus de 80 kms de chemin, officiels et raccourcis confondus. Et ça, sans compter les bords des cours d’eau, qui constituent souvent des chemins.»
Cuej info: La nécessité de revoir la plan de circulation après concertation vient donc de ce constat ?
A. S.: «Oui, d’une part en raison des zones de quiétude. Parce qu’on a certaines espèces à enjeu, qui ont besoin de plus de quiétude pour pouvoir se pérenniser sur le site, notamment certains rapaces comme l’Autour des palombes, ou la Bondrée apivore. Deux espèces assez rares qui ont besoin d’une tranquillité assez importante sur la période de reproduction, donc en gros de mars à juillet.
Quand on a des chemins à foison et que tout le monde peut aller un peu partout, on a un risque, même si les gens ne le souhaitent pas, que ces oiseaux là soient dérangés et du coup qu’ils échouent dans leur processus de nidification.
Il y a ensuite la question de la sécurité publique. En tant que gestionnaire nous devons intervenir pour couper les arbres ou les branches qui menacent de tomber sur le public. Des travaux forestiers, donc, dans une zone ou normalement on ne fait plus de travaux forestiers parce qu’on a vocation à protéger la foret.
Ce qui veut dire que si on a 80kms de chemin on va faire beaucoup plus de travaux que si on en n’a que 10, Donc là il y a un deuxième enjeu, c’est la réduction du linéaire de chemin pour limiter les travaux d'entretien.»
( Vidéo en forêt sur la chalarose )
Cuej info: Et en ce moment, il y a aussi la problématique de la chalarose sur le frêne, vous allez l’intégrer au plan ?
«La chalarose est une maladie qui touche l’essence d’arbre la plus présente dans cette forêt, qui représente 60 % des tiges d’arbre de cette forêt. C’est un petit champignon qui affaiblit l’arbre, qui du coup va être beaucoup plus sensible à d’autres parasites — et va menacer de tomber à moyen terme. C’est une problématique de sécurité publique. Les maires des deux villes ont donc pris chacun un arrêté municipal pour fermer un certain nombre de chemins au public pendant une période indéfinie.
Sur le terrain c’est matérialisé par une petite chaînette rouge et blanche avec les explications, et un plan de circulation adapté.»
Cuej info: En ce qui concerne la concertation, vous avez une idée de la forme qu’elle va prendre ?
«L’idée, c’est de faire une vraie concertation, c’est-à-dire pas une simple consultation où on propose quelque chose et on attend l’avis des gens, mais vraiment une co-construction avec les usagers. On va organiser un atelier de concertation qui devrait commencer en novembre au plus tard et se terminer début 2019. On aura un animateur externe, afin d’avoir une neutralité dans l’animation.
Avant cet atelier, on va faire une réunion d’introduction où tout le monde pourra venir, on va présenter la démarche, l’animateur expliquera comment il voit les choses et après les gens pourront s’inscrire ou non aux ateliers qui suivront.
Ensuite les riverains se réuniront et créeront trois livrables : un plan de circulation qui dit quels chemins sont ouverts, quels chemins sont fermés. Ensuite, un cahier de préconisation des aménagements d’accueil du public : quelle est la façon dont les usagers voient les aménagements dans une réserve, qui permettent d’assurer notre mission de sensibilisation et d’éducation à la nature. Créer un sentier pédagogique, une tour d’observation, par exemple.»
Enfin, ils réaliseront la charte de l’usager de la réserve. En gros, c’est une liste de comportements idéaux que doivent avoir les visiteurs en entrant dans une réserve naturelle et en particulier dans celle du Neuhof-Illkirch.»
Cuej info: Et comment allez-vous faire pour intégrer la question des zones de quiétude, qui est très spécifique ?
«On annoncera au départ les limites de la concertation, ce qu’on peut vraiment négocier. Après, sur les zones, nous, on a une vague idée de celles qui seraient favorables à certaines espèces, mais l’essentiel c’est qu’elles aient des zones, si c’est pas à tel endroit, ça peut etre à un autre.
Par contre, c’est sûr que si au bout d’un moment on voit que l’essentiel des chemins souhaités dans la concertation se concentrent à l’endroit où l’on sait qu’il y a nidification, on interviendra pour dire « attention c’est peut-être pas cette zone-là qu’il faut privilégier. »
Cuej info: Vous interviendriez en cours d’atelier ?
«C’est compliqué, c’est pour ça qu’il y aura une réunion de calage avec l’animateur, pour parler de ces choses-là. Ca n’est pas encore fait tout ça. L’idée c’est de voir quelle est ma place, moi conservateur de la réserve naturelle dans la concertation.
Je peux pas être un usager lambda, donc à moment donné j’ai un rôle à jouer, mais il faut à la fois que je laisse de la liberté d’expression et de construction aux personnes qui sont présentes. Et aussi à moment donné qu’on soit un peu garde-fou, moi conservateur, ou la DREAL, l’organisme référent au niveau de l’État. Il y a des rôles à bien définir.»
Propos recueillis par Augustin Campos