17 février 2023
Bousculé par les scandales de corruption, le Parlement européen a pris conscience de la nécessité de se réformer. Alors que des mesures sont en cours de négociation, un projet d’organe européen anti-corruption divise les groupes politiques.
À Strasbourg, le député allemand Daniel Freund, du groupe Les Verts (écologistes), s’insurge : “Pourquoi n’y a-t-il toujours pas d'organe indépendant d'éthique ?” Lors de l'ouverture de la session plénière, la création d’une autorité indépendante d’éthique contrôlant élus et organisations d’influence dans les institutions européennes est au cœur des débats. L’objectif : protéger l’Union des conflits d’intérêt, du pantouflage (passage du public au privé) et du lobbying incontrôlé afin d’éviter un nouveau Qatargate.
Cette affaire de corruption de députés européens a plongé l’institution dans une crise inédite. En décembre 2022, alors que les services de renseignement belges enquêtent sur des soupçons de corruption au sein du Parlement européen, des perquisitions sont lancées au domicile d’Eva Kaili, vice-présidente (S&D, sociaux-démocrates) grecque de l’assemblée. En une journée, près d’un million et demi d’euros en cash sont saisis et cinq personnes placées en garde à vue. Les élus soupçonnés d’avoir reçu ces sommes d’argent de la part du Maroc et du Qatar sont suspendus de leurs fonctions. Qualifié par les médias de “pire scandale de l’histoire du Parlement”, le Qatargate a confirmé l’urgence de réformer l’institution en matière d’éthique.
Le scandale de corruption du Qatargate a bousculé les institutions européennes. © Célestin de Séguier
La lutte contre la corruption à l’ordre du jour
Au Parlement, les règles d’éthique sont en effet contrôlées par la Présidente et sont “souvent flexibles sur la transparence” selon Raphaël Kergueno de l’ONG Transparency International. De même, il existe un registre de transparence répertoriant les lobbyistes mais il ne concerne pas le Parlement. “Il n’est malheureusement obligatoire que pour la Commission” dénonce l’ONG.
Pour réformer l’institution, les députés européens ont déjà mis sur la table plusieurs mesures. On y trouve : l’obligation de l’inscription des lobbyistes au registre de transparence, une réforme du code de conduite, la mise en place d’une période de réserve à la fin des mandats parlementaires.... ainsi que la mesure phare : la création d’un organe indépendant d’éthique, un projet longtemps repoussé par le Parlement.
“Depuis qu’il y a des radars, les gens roulent moins vite !”
Ce sont les compétences de cet organe d’éthique qui divisent les élus européens. Les Verts (écologistes), par exemple, veulent un organe indépendant avec un fort pouvoir d’enquête et de sanction. Pour Philippe Lamberts, coprésident belge du groupe interrogé en conférence de presse, “l'organe a vocation à être un contre-pouvoir. Depuis qu’il y a des radars sur les autoroutes, les gens roulent moins vite. Avec la corruption, c’est la même chose !”. À droite, c’est dans les rangs du PPE (Parti Populaire Européen) que l’affaire bloque. Le groupe majoritaire conservateur, rejoignant les sociaux-démocrates, ne veut allouer qu’un pouvoir consultatif à ce gendarme de l’éthique. Dans les rangs de l’extrême-droite, qui a largement voté contre la résolution, les parlementaires dénoncent “l'hypocrisie” des groupes de gauche. Jean-Paul Garraud, du groupe Identité et Démocratie (ID, Identité et Démocratie), accuse ainsi le Parlement de vouloir “noyer le poisson dans l’eau et de faire diversion” en refusant une enquête parlementaire et en créant “un organe de plus qui ne servirait à rien”.
“C’est un enfumage”
Raphaël Kergueno, de l’ONG Transparency International, est pessimiste. “Malgré une réelle volonté de changement, le projet d’organe indépendant est un enfumage.” La Commission, qui a l’initiative législative, ne fera rien qui ira au-delà de la volonté du Parlement. Or, donnant raison aux groupes majoritaires, la résolution adoptée ce jeudi par les députés ne prévoit aucun pouvoir de sanction pour l’organisme européen.
Pourtant, il y a urgence. L’assemblée doit se réformer avant l’été. Passé cette date, la question de la corruption au sein des institutions européennes risquerait d’être au cœur de la campagne des élections de 2024. De quoi donner du grain à moudre aux extrêmes. Pour Raphaël Kergueno, “ce climat est dangereux, les forces anti-européennes s’emparent de cette histoire”.
Guillaume Colleoni et Célestin de Séguier