A Wittelsheim, siège de l'usine haut-rhinoise d'enfouissement de déchets ultimes, le combat écologique est en berne. Malgré l'allégresse suscitée par la condamnation des responsables du plus gros scandale de l'amiante italien, les militants de Destocamine déplorent le manque de courage politique de l'Etat.
Dynamitage de minerai d'amiante dans une mine québécoise, 1944. © Flickr / BiblioArchives
Dans cette commune alsacienne de 10 000 habitants, le verdict de l'affaire Eternit a passionné. A 500 kilomètres de Wittelsheim, en périphérie de Mulhouse, le tribunal de Turin a condamné les deux responsables d'usines d'amiantes-ciment à 16 ans de prison ferme au terme d'un procès-fleuve. Ils sont accusés de la mort de 3 000 personnes. L'Italie triomphe mais pleure toujours ces anciens ouvriers et habitants des villes du Piémont qui ont abrité ces dangereux sites.
Aux abords de Stocamine, seul site français d'enfouissement de déchets ultimes (à base d'arsenic, de mercure, d'amiante, déchets de laboratoires, métaux lourds, etc.), la décision italienne intéresse. Depuis le grave incendie qui a mené à sa fermeture en 2002, 44 000 tonnes de déchets stagnent dans cette ancienne mine de potasse reconvertie en poubelle industrielle (lire aussi "A Wittelsheim, la mine fait long feu" paru en 2002).
Urgence
Aujourd'hui, d'anciens mineurs descendent encore régulièrement constater l'évolution du sol, à 550 mètres de profondeur, juste en dessous de la nappe phréatique rhénane: "Les terrains sont en train de bouger. Si on attend encore trop longtemps, on ne pourra plus rien sortir. Les experts sont certains que la nappe la plus grande d'Europe sera touchée dans quelques temps car l'eau va ruisseler vers ces déchets. Il y a vraiment urgence", alerte Etienne Schamik, trente deux ans de mine à son actif.
A cause de l'incendie, éteint à mains nues par des mineurs en bleu de travail, certains de ses anciens collègues souffrent de difficultés respiratoires et de problèmes cutanés. 74 d'entre eux ont obtenu réparation pour avoir été exposés aux fumées toxiques, sans aucune protection règlementaire.
Le procès italien, au pénal, est une première mondiale, et donne de l'espoir à toutes les victimes de l'amiante.
Peut-il servir de précédent en France ? Yann Flory, porte-parole du collectif Destocamine, qui regroupe des syndicats de mineurs et des associations locales, en doute.
Il habite à cinq kilomètres du "tombeau" de Wittelsheim : "Nous ne sommes pas dans la même situation qu'en Italie car pour l'instant, il n'y pas d'impact immédiat sur la population donc pas de décision de justice possible. Nous ne voulons faire condamner personne, nous voulons juste que l'Etat prenne ses responsabilités et agisse en amont."
Enfouissement
Mais pour Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie, le dossier est classé : "Je considère que le processus de concertation pour établir le scénario de fermeture de Stocamine est aujourd'hui achevé", a-t-elle écrit à Philippe Richert, président UMP de la région Alsace dans un courrier du 20 janvier. En clair, le scénario imposé par l'Etat est l'enfouissement pour une durée illimitée de ces 44 000 tonnes de déchets, simplement protégés par des "barrières ouvragées".
Pour acheter la paix sociale, l'exploitant pourrait néanmoins opter pour un déstockage partiel : remonter uniquement les déchets les plus dangereux comme le mercure (3 000 à 5 000 tonnes). Le coût d'un stockage à durée illimitée serait deux fois moindre que celui du déstockage total, estimé entre 80 et 100 millions d'euros.
C'est cette solution qu'a défendu le 10 février, une cinquantaine de manifestants devant la préfecture de Colmar. "Ces déchets dangereux sont répartis en blocs à différents endroits du site. Si on descend et qu'on déplace des sacs, autant tout remonter", argumente Yann Flory. Mais le préfet a refusé de les recevoir pour en discuter.
Europe
"Nous sommes entrés en phase préélectorale, les préfets et les ministres ne vont plus prendre de décision aussi lourde à partir de maintenant. Il faudra sûrement attendre la rentrée parlementaire de septembre pour que le dossier avance à nouveau", se résigne la mairie de Wittelsheim. "Nous voudrions que nos problèmes soient réglés ici, par la région, et pas par un courrier venant de Paris." La plupart des élus alsaciens et une quinzaine de députés européens ont pris position pour le nettoyage complet du lieu.
En attendant, le collectif Destocamine s'est tourné vers l'Europe. Mathias Groote, le président socialiste allemand de la commission Environnement du Parlement européen, leur a répondu récemment que leur "plainte" était enregistrée.
Laure Siegel
Reportage vidéo de Chloé Michelon avec AFP
Photo d'appel : Flickr / brunolaon
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Pour aller plus loin :
Loi européenne sur l'eau de 2000
Loi Barnier sur la protection de l'environnement en France
En France, l'amiante, interdit en 1997, est jugé responsable de 10% à 20% des cancers du poumon et pourrait être à l'origine de 100.000 décès d'ici 2025, selon les autorités sanitaires. (voir le document de la Ligue contre le cancer)