Alors que le monde de la culture se relève péniblement de la crise sanitaire, l’offre de lieux de spectacle à Strasbourg semble étonnamment dynamique. Le Pokop et la Scène misent sur l’innovation pour faire (re)venir les spectateurs.
Pas question ici de bâtiment flambant neuf comme au Maillon, quartier Wacken, mais plutôt une ancienne usine, La Générale alsacienne des pâtes alimentaires. Voilà donc une nouvelle friche industrielle réaménagée à Strasbourg, dans un quartier — la Plaine des Bouchers — encore peu gentrifié, mais qui en prend sérieusement la direction. Dans les vieux bâtiments décrépits, aux côtés du nouveau théâtre nommé très sobrement « La Scène », se trouvent déjà le Kalt — club electro prisé des jeunes Strasbourgeois —, mais aussi une salle de crossfit et bientôt une salle d’escalade. Pas forcément d’univers commun entre tout ça, surtout que les fanas de musculation n’auront pas forcément envie de venir voir du théâtre alsacien après leur séance de transpiration… Mais peut-être que le futur espace restauration de La Scène, prévu pour la fin du mois, saura créer du lien, avec ses bières et ses tartes flambées ? Quoi qu’il en soit, La Scène, ouverte le 3 février, compte bien attirer du monde et devenir le moteur du quartier.
Un premier acte en 2019 qui n’a pas cartonné
Pourtant, il s’en était fallu de peu pour que les ambitions du lieu ne durent pas. Racheté et rénové en 2019 par Haziz Vardar, propriétaire de cinq salles de spectacle à Paris et à Nice, l’endroit n’a pas su trouver son public. Avec une gestion à distance et un choix de théâtre plutôt classique, des pièces de boulevard notamment, les débuts ont été en dents de scie, et le Covid-19 a porté le dernier coup de semonce. Mais le lieu a tout de même eu le temps d’héberger les Alsaciens de la Revue Scout, privés de la salle de la Briquetterie à Schiltigheim devenue centre de vaccination. Et il faut croire que le Covid fait parfois bien les choses, puisque la troupe de cabaret a été charmée par cette ambiance rouge et cosy de salle parisienne.
L’agence de production Acte 5, à l'origine de la Revue Scout, s’est alors associée à la compagnie strasbourgeoise See U Soon afin de louer le lieu. Se voulant un contrepied aux autres théâtres de la ville, ils ont opté pour une ligne claire : la comédie. En faisant venir tant des têtes d’affiches nationales comme Guillaume Meurice ou Fabien Olicard que des jeunes talents locaux en mode stand-up, ils ont souhaité combler un manque. « Les comédiens étaient là, le public aussi, confie Charles-Alain Billard, chargé de production chez Acte 5, auprès de Cuej.info. Mais c’est dans l’offre de lieu que ça bloquait. »
Entre le cabaret, très prisé historiquement en Alsace, et le théâtre plus classique, difficile de s’ouvrir à de nouvelles formes. Autre manque d’après Charles-Alain Billard, tout était plus ou moins public, ou en tout cas subventionné par la ville. « Ici on est 100% privé. C’est Haziz Vardar qui possède le lieu, et on doit faire venir assez de public tous les mois pour rentabiliser la location. Alors ça passe par du théâtre bien sûr, mais pas seulement. On veut aussi louer l’espace de spectacle pour des conventions d’entreprise, des défilés de mode… et l’espace de réception pourra aussi être privatisé. Ce serait impossible sinon, on ne peut pas organiser du théâtre tous les soirs. »
Pour eux donc, la solution est toute trouvée : remplir les vides du monde culturel strasbourgeois, avec de la comédie qui ratisse large et une salle de spectacle de 500 places, « alternative entre la Laiterie et le Zénith ». Et il faut croire que ça marche, puisque tous les spectacles affichent complet jusqu’en mars.
La Pokop vise la jeunesse
Un peu plus proche du centre-ville, dans une autre zone généralement peu assimilée au théâtre ou à la musique, on veut aussi diversifier l’offre, avec la salle de spectacle La Pokop. Et là aussi, le besoin était plutôt criant. Située juste à côté du Campus central, il s’agit de la toute première salle strasbourgeoise clairement axée vers les étudiants, qui y bénéficient de places à deux euros. Et alors que d’autres villes universitaires comme Dijon ou Besançon disposaient déjà de telles salles depuis des années, celle-ci a mis du temps à se mettre en place. Dans les tuyaux depuis 2013, le projet a pris du retard, englué dans un plan de rénovation plus large du campus, qui a mis la priorité sur les logements étudiants.
Les travaux n’ont sûrement pas aidé à l’image du quartier, très populaire historiquement, et peu fourni en lieux culturels. Mais à présent que les chantiers se terminent peu à peu, peut-être que l’endroit va gagner en popularité auprès des artistes ? C’est bien possible, surtout que La Pokop se veut toute entière un espace dédié à la jeune création. Ateliers de pratiques artistiques, concours de création étudiante, résidences et évidemment spectacles, la palette y sera plutôt large. Pour l’inaugurer, c’est la compagnie de danse Marino Vanna qui ouvrira, ce 11 février. Après avoir peaufiné son spectacle sur place, son quatuor d’artistes pourra y tester son public, en salle comble, puisque tout est déjà réservé.
Côté gros sous, le projet est évidemment porté par des financements publics : le Crous de Strasbourg et l’Université. « Mais il faut garder une certaine rigueur comptable, pour ne pas jeter l’argent public par les fenêtres », nous confie Bernard Strauss, directeur adjoint du Service universitaire de l'action culturelle. Surtout après les deux millions d’euros de financement qui ont été injectés dans la transformation de l’ancien gymnase en salle de spectacle.
Une envie de ramener du lien
Au final, entre leur volonté de favoriser les jeunes talents, leur offre qui se veut atypique, leur localisation dans des quartiers qui « montent » et leur taille à cheval entre l’intimiste et le monumental, ces deux nouvelles scènes ont de quoi tirer leur épingle du jeu au sein du spectacle strasbourgeois. Mais ce dynamisme suffira-t-il à ramener les spectateurs dans les salles, malgré l’inertie des confinements successifs ? Rien ne permet de l’assurer, mais les gérants de salle ont envie d’y croire.
Géraud Bouvrot
Iris Bronner
Edité par Leïna MAGNE