Apparues aux États-Unis, à la suite de la crise financière de 2008, les tiny houses, ces micro-maisons mobiles plus écologiques que leurs grandes sœurs, se sont doucement importées en France. En Alsace, il est relativement aisé de s’en construire une pour peu de frais mais quand il s'agit de trouver un terrain, les "tinystes" se heurtent à de nombreux freins administratifs.
Debout sur son escabeau, Marie Failla finalise l’isolation extérieure de sa tiny house qu’elle construit, seule, à Strasbourg, dans le quartier de Koenigshoffen. Depuis six mois, elle travaille tous les jours à la création de sa micro-maison, qu’elle pourra déplacer sur une remorque, au gré de ses envies. À 26 ans, et avec un petit budget de 30 000 euros, elle a fait ce choix pour "commencer dans la vie avec quelque chose de plus léger, sans prêts, sans crédits".
Marie Failla construit sa tiny house à Koenigshoffen © Eiman Cazé
Liberté, minimalisme, écologie, autonomie… Ce sont les images collées à la communauté des tinystes et entretenues par les réseaux sociaux. En Alsace, "l’influenceur" qui fait connaître ce mode de vie, c’est Lars Herbillon, dont les vidéos font des dizaines de milliers de vues sur Youtube. Trois ans après avoir lancé son projet d’auto-construction à 17 ans, il se qualifie aujourd’hui de "digital nomad" et se prépare à lancer son entreprise de construction de tiny house "nouvelle génération". Pour lui, l’habitat léger "permet de pouvoir changer de projet de vie sans contraintes géographiques ou économiques".
Un marché en expansion
Le phénomène est encore trop récent pour avoir des chiffres précis mais une chose est sûre, ces micro-maisons séduisent de plus en plus. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’être un artisan né pour en avoir une. Pour un prix moyen oscillant autour de 40 000 euros, il est possible de faire appel à un professionnel.
Si cette activité s’est essentiellement développée dans l’ouest et le sud de la France, certaines entreprises alsaciennes ont en fait leur spécialité, comme le menuisier MTI, situé à Hettenschlag, dans le Haut-Rhin : "Depuis 2005, je faisais des maisons avec une ossature en bois. Il y a deux ans, j’ai vu que l’engouement pour les tiny houses était en train de prendre de l’ampleur, alors je me suis dit ‘pourquoi je ne pourrais pas en construire de plus petites’", raconte le patron.
S’il déclare arriver à en vivre aujourd’hui, la concurrence reste dure dans ce petit secteur : "Il y a de plus en plus de demandes, mais le marché est encore en train de se créer. On voit beaucoup de particuliers qui construisent eux-mêmes et qui revendent ensuite."
Depuis six mois, Marie Failla a décidé de construire sa propre tiny house. Un des adhérents de l'atelier partagé de la Fabrique à Strasbourg lui vient en aide. © Enzo Dubesset
Une législation restrictive
Tous les adeptes du minimalisme, à l’image de Lars Herbillon, s’accordent pour affirmer : "Le seul écueil au mode de vie tiny, ce n’est pas le fait de construire, mais bien de trouver un terrain."
Si le concept vend une vie de liberté, il faut tout de même respecter la législation, qui depuis 2014 et la loi ALUR, donne une existence juridique aux habitats alternatifs. Elle impose de respecter une limite de superficie de 20 m² et de faire en sorte que l’habitation conserve ses moyens de mobilité au risque d’être assujettie au permis de construire. Surtout, il est impossible de s’établir plus de trois mois sur un terrain sans avoir l’accord du maire de la commune, un graal particulièrement dur à obtenir pour les tinystes.
62 propositions, 62 refus
Laurent Fenin, artisan indépendant et sa compagne Vanessa, esthéticienne, peuvent en témoigner. Le couple vit un véritable enfer administratif depuis qu’ils se sont lancés, il y a deux ans, dans un projet de tiny house. À la suite de la crise de 2008, l’entreprise industrielle du mari est liquidée et la famille est forcée de vendre jusqu’à ses meubles. Avec les 13 000 euros qu’ils ont réussi à amasser, auxquels se rajoute une aide familiale, Vanessa et Laurent ont fait le choix de tout recommencer à zéro, en mode minimaliste.
Laurent et Vanessa ont essuyé 62 refus d'installation sur un terrain depuis qu'ils se sont lancés dans leur projet il y a deux ans © Eiman Cazé
Sur le parvis de leur bâtisse en bois, entreposée à Pfaffenhoffen, où le couple de quadragénaires loue une maison, Laurent raconte d’une voix dépitée son chemin de croix : "On a eu 62 propositions, 62 propriétaires qui étaient d’accord pour nous prêter leur terrain. Pourtant, à chaque fois, la commune a refusé." Avec deux tiny houses (une pour eux et une pour leurs trois enfants) et une forte envie de rester en Alsace "pour rester en contact avec la famille proche", les possibilités sont assez restreintes.
Le choix de l’illégalité
Désespéré, Laurent se déclare être prêt "à aller sur le prochain terrain où le propriétaire sera d’accord, même sans l’autorisation de la mairie" quand Vanessa envisage "d’écrire une lettre à la préfecture" pour faire connaître leur situation. "On pense que notre cause est juste et on a l’impression d’avoir tout fait, d’avoir épuisé toutes nos cartouches", résume l’artisan.
Ce choix de l’illégalité, Lars Herbillon, l’a déjà fait depuis plusieurs mois. Il vit aujourd’hui sur une parcelle agricole, aux confins d’une commune dont le maire ignore sa présence et tente de garder son optimisme : "Ça me fait pas peur je trouverai une solution le temps voulu. Je suis flexible, s’il me faut quitter l’Alsace, alors je le ferai."
Pour le jeune homme de 20 ans, cette situation s’explique par la volonté des mairies "d’éviter les précédents juridiques". S’ils acceptent une tiny house, "ils font une exception au plan local d’urbanisme et ne seront plus en mesure de dire non aux autres", explique-il. Et de pointer un problème de génération : "Souvent, les maires ne sont pas les plus jeunes, donc ce ne sont pas les plus tournés vers l’avenir. Les tiny, pour eux c’est l’inconnu, donc ça leur fait peur."
Depuis deux ans, Laurent et Vanessa Fenin tentent de trouver un terrain pour installer leurs deux tiny houses mais se heurtent aux refus systématique des communes bas-rhinoises. © Enzo Dubesset
Un casse-tête administratif
La question émergente des habitats alternatifs relève effectivement du casse-tête pour les élus. Un technicien chargé de l’aménagement et de l’habitat dans une communauté de communes du nord du département, qui préfère conserver l’anonymat, se défend de tout immobilisme : "Nous sommes ouverts à ce genre de questions, c’est un vecteur d’attractivité". Néanmoins, il ne cache pas avoir donné un avis négatif à plusieurs maires l’ayant consulté sur le sujet. Pour se justifier, il pointe du doigt la question de l’équité fiscale – les habitants de tiny house ne payant pas de taxe foncière – et celle du Plan local d’urbanisme (PLU) "qu’il faudrait réviser alors qu’on a déjà mis quatre ans à l’élaborer."
"Gitans, clodos, marginaux…"
Mais Laurent et Vanessa en sont convaincus, un autre phénomène, plus insidieux, est à l’origine des multiples refus qu’ils ont essuyés : la connotation, pas toujours positive, des habitats alternatifs. "On nous a fait des remarques comme quoi on était des gitans, des clodos, des marginaux… Ou alors c’était inverse, on nous prenait pour des gens aisés, et donc on cherchait à nous arnaquer", déplore Laurent. Et Vanessa de renchérir : "On nous proposait 150 euros pour un simple pré qui vaut à peine dix balles l’année. On nous disait que ce prix pour un rêve, c’était rien. Personne ne comprend que, pour nous, ce n’est pas un rêve".
Pour Vanessa et Laurent Fenin, le choix de la tiny house est avant tout économique. © Enzo Dubesset
Deux générations qui ne cohabitent pas
Le couple ne retrouve même plus l’esprit qu’ils ont connu au début de leur aventure. Ils parlent même d’un "remplacement" d’une génération par une autre : "Il y a deux ans, sur les groupes Facebook, on ne voyait que des gens comme nous, des minimalistes qui font ça par nécessité, qui construisent leurs tiny grâce à des chantiers participatifs. Aujourd’hui, c’est devenu du business. Des gens s’inspirent de notre modèle pour faire du Airbnb", soupire Laurent. Cette amertume les a même poussés à quitter ces fameux groupes, qui forment pourtant le cœur de la communauté tyniste, et à refuser les visites de leur propre micro-maison.
La difficulté croissante pour trouver des terrains ne refroidit pas les espoirs des plus jeunes et les vidéos Youtube narrant les aventures des "digital nomads" font toujours autant de vues. Quand on évoque le sujet avec elle, Maria, la future tyniste lève les yeux au ciel : "Ça, c’est la grosse question. On a déjà demandé à quatre communes si on pouvait s’installer chez eux. Les quatre nous ont toutes refusées."
Enzo Dubesset et Eiman Cazé