Les émeutes provoquées par les promotions sur le Nutella et les couche-culottes dans les enseignes Intermarché ne sont pas le reflet des difficultés des ménages à très faibles revenus. Selon les travailleurs sociaux, la course aux bonnes affaires ne doit pas virer à la « frénésie collective ».
Ils seraient les bienvenus, mais malheureusement les pots de Nutella ne s'égarent pas souvent dans l'épicerie solidaire de Geispolsheim. Les clients doivent se satisfaire de moins : « Souvent après les fêtes, on reçoit les chocolats de Noël qui sont restés dans les rayons. Mais les gens qui viennent s'alimenter ici sont contents quand même », dit Christiane, l'assistante sociale dans cet établissement de Caritas, qui accueille une quarantaine de familles chaque semaine.
Ce qu'elle a vu à la télévision, la semaine dernière, l'a profondément choquée. Des clients de supermarché qui se sont rués sur les pots de pâte à tartiner et des couches-culottes. Depuis plusieurs jours, la chaîne Intermarché attire avec des réductions jusqu'à 70 % et a proclamé « les quatre semaines les moins chères de France », provoquant des bagarres dans les rayons. « Je ne pense pas que les gens qui achètent comme ça en ont vraiment besoin. Ils ramassent chez eux, ils stockent, au lieu d'en laisser pour les autres », critique Christiane.
Ces émeutes sont-elles l'expression d'une détresse sociale, comme cela a été dit par plusieurs commentateurs ? Ce n'est pas l'avis de plusieurs travailleurs sociaux rencontrés dans la Bas-Rhin et qui, tous les jours, sont en contact avec des familles aux revenus très faibles. « Les familles qui viennent s'alimenter ici ont d'autres priorités. Elles essayent d'avoir les produits de base : du riz, des pâtes, du pain. Ils ne peuvent pas se permettre de se fixer sur des marques », dit Patricia, secrétaire dans l'épicerie solidaire « Tremplin Neuhof » dans le sud-est de Strasbourg. Pourtant, elle se serait bien laissée tenter : « Si j'avais su, j'aurais acheté quelques pots pour faire plaisir à nos bénéficiaires ». Mais Patricia avoue de ne pas avoir vu les images – contrairement à cette femme en jogging qui vient de finir ses courses au « Tremplin Neuhof ». Elle secoue la tête avec mépris. « Moi aussi, j'aime bien le Nutella, bien sûr », affirme-t-elle en croquant son muffin, « mais les gens qui se battent pour ça, je ne comprends pas du tout. Ce sont des fous ».
« Eduquer les gens à la consommation »
Jean-Luc Kaneb, coordinateur de l'association sociale « Maison des Potes » à Strasbourg partage cet avis. « Même à la fin du monde, je préférerais manger du sable que de tomber dans un comportement sauvage. C'est la frénésie collective. » Et pourtant, Jean-Luc Kaneb n'est pas contre les promotions – il vit grâce à elles. Il a créé il y a quelques années les Sorties pouvoir d'achat, les « SPA » comme il les appelle, surtout à destination des étudiants précaires. Ils épluchaient les catalogues pour trouver les meilleurs rabais, pas seulement par rapport au prix mais aussi par rapport à la qualité, et le petit groupe partait en covoiturage en quête des bonnes affaires, partout dans la région et souvent en Allemagne. « Notre circuit permettait aux étudiants de faire leurs courses pour seulement 50 euros le mois, avec les produits d'hygiène, d'alimentation, de la viande. Souvent, on achetait en gros et partageait après », raconte Jean-Luc Kaneb.
Il a arrêté ces sorties car le minibus est en panne depuis. Mais ces « SPA » avaient beaucoup de succès. « Il faut éduquer les gens à la consommation », proclame-t-il. Pour lui, on peut chasser les promotions sans chasser les autres – à condition que tout soit organisé.
Dans l'épicerie solidaire à la Meinau, où travaille Bernard depuis 14 ans, les bousculades Nutella, « ça ne serait pas possible ». Il se souvient cependant de ce jour où il a mis des salades gratuites à dispositions de ces clients. « Les gens se sont jetés dessus, ils se sont bousculés. Ça ne fonctionne pas. » Avec les 150 bénéficiaires que Bernard accueille chaque semaine, une organisation est essentielle. « En ce moment, on a des dragées M&M`s », montre Bernard. « Mais on n'en a pas beaucoup. Du coup, je fais attention que chaque famille ne prenne pas plus qu'un paquet. Les émeutes n'ont pas de place ici. »
Texte et Photos : Clara SURGES