Vous êtes ici
04/03/13
19:59

Mali : « une guerre avec peu d'images, qui ne montrent pas la guerre »

Ces images du 1er régiment de chasseurs parachutistes, celui auquel appartenait le caporal Cédric Charrenton, troisième soldat français tué au Mali, n'ont pas été prises par une équipe de télévision. Mais par les services de l'Armée de terre française. Pourtant, elles ont fait l'ouverture du 20h de France 2 d'hier. Diffusées également sur la page facebook de l'Armée, elles font partie des rares images montrant des combats.

Depuis le commencement de l'opération Serval, le 11 janvier dernier, de telles vidéos sont distribuées au compte gouttes par l'armée française. Celle-ci verrouille l'accès aux zones de combats aux journalistes. Pour garantir leur sécurité et celle des opérations, affirme-t-elle. Par souci de communication, répondent les journalistes qui dès le début se sont plaints de ce traitement.

La pratique n'est pas nouvelle. Elle remonte à la première guerre du Golfe et ses pools de journalistes pour qui l'on organisait des excursions : entraînements, interviews de chefs de détachements voire de soldats. Des conditions à des années lumières de la maxime du photographe de guerre Robert Capa : « si tes photos ne sont pas bonnes, c'est que tu n'étais pas assez près ».

Désormais pour se rapprocher raisonnablement de l'action il faut être « embedded » et accepter de ne sortir qu'encadrés et protégés par des troupes françaises. Et de ne voir que ce qu'elles ont décidé de montrer.

Guerre propre

Car la guerre moderne est devenue une affaire de communication. « Il y a une volonté de l'armée de donner l'image d'une guerre propre, et de ne pas afficher de morts ou les conséquences des combats », regrette Dominique Derda, grand reporter à France 2 qui avait couvert la première guerre du Golfe. Par contre, personne n'a empêché les caméras de télé de filmer l'accueil enthousiaste des populations, l'arrivée et le déplacement des troupes françaises et bien sûr la visite de François Hollande au Mali.

Un pis aller, après une première phase particulièrement intense : bombardements, libération des villes occupées par les islamistes, exactions et vengeance présumées des soldats maliens. Sans oublier ce qui est le propre de la guerre : les morts. Trois depuis samedi pour la France, au moins 37 pour les forces africaines et plusieurs centaines pour leurs ennemis.

La guerre au Mali une guerre sans images ? Un constat que nuancent certains. « Ce n'est pas une guerre sans images c'est une guerre avec peu d'images qui ne montrent pas la guerre, ajoute Dominique Derda. On ne sait rien de ce qui se passe là-bas ».

Lorsque l'armée autorise les journalistes à accéder à une zone, c'est souvent plusieurs jours après la fin des combats. « Kidal a été libérée à la fin du mois de janvier, précise Dominique Derda, les journalistes n'ont pu y entrer que 10 jours après ». L'état-major, basé à Gao au Mali, bloque la progression des journaliste au delà de cette ville. A tour de rôle, elle permet notamment aux chaînes télé d'aller au delà de cette zone.

« Dans un conflit impliquant deux armées conventionnelles, le traitement est plus aisé, raconte Bernard Lebrun reporter à France 2. En Irak on savait à qui l'on avait à faire. Là nous sommes dans un conflit asymétrique où les islamistes ne sont pas des interlocuteurs identifiables et ne communiquent pas. »

Une situation qui exaspère les journaliste, à tel point que « Reporters sans frontières » en tête s'est fendu d'un communiqué exhortant l'armée à laisser travailler les journalistes : « En période de conflit, c’est aux journalistes et à leurs médias, et non aux militaires, de déterminer les risques qu’ils sont prêts à prendre dans la collecte de l’information ».

Plus grande prudence des rédactions

Si la volonté d'être au plus proche des événements est toujours présentes, les journalistes restent lucides sur leur capacité à gérer une situation de combat. « Je ne suis pas certains que tous les journalistes soient capables de sauter en parachute avec les forces spéciales, commente Dominique Derda, tout ce que l'on demande c'est de rendre compte de façon réaliste de ce qui se passe sur le terrain ».

Car à France Télévisions, les précédents conflits ont laissé des traces chez les responsables de rédactions. Personne n'a oublié Gilles Jacquier, journaliste reporter d'images de France 2, tué en Syrie l'an dernier, ni les 547 jours qu'ont passés Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier en Afghanistan. « Je suppose que les chefs de certaines rédactions sont moins véhéments que leurs reporters et qu'après tout, un plateau d'un journaliste en gilet pare-balles, puisque tout le monde est dans la même situation, c'est mieux que rien », déclare Dominique Derda.

En 1991, Jean Baudrillard disait que la « Guerre du Golfe n'a pas eu lieu ». Il assenait alors un constat particulièrement frappant : celui de la non-visibilité d'un conflit important dans un contexte pourtant dénué des contraintes et censures des régimes totalitaires. Vingt deux ans plus tard, la sentence est toujours d'actualité.

Thibaut Cordenier

Imprimer la page

Fil info

15:33
Monde

République démocratique du Congo : le Conseil des droits de l'homme de l'ONU lance une enquête sur les exactions dans l'est du pays

15:20
Monde

Le procès à Istanbul de Pinar Selek, sociologue turque réfugiée en France, à nouveau renvoyé

15:07
Monde

Le ministre de la Défense israélien a donné l'ordre à l'armée de ne pas critiquer le plan de Trump sur Gaza

14:58
Monde

Grèce : des milliers d'étudiants manifestent pour réclamer justice pour les familles de victimes de l'accident ferroviaire survenu en 2023

14:50
Monde

Guerre en Ukraine : la Russie revendique la capture de la ville de Toretsk, après des mois de combats

14:45
Monde

L'Ouzbékistan a transféré aux États-Unis 7 hélicoptères stationnés dans le pays depuis la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan

14:22
Monde

États-Unis : le chef de la diplomatie Marco Rubio se rendra en Israël à la mi-février

14:15
Monde

La Cour pénale internationale, l'ONU et l'Union européenne protestent contre les sanctions de Donald Trump à l'encontre de la juridiction

13:24
Monde

Séismes en Grèce : le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis exclut un scénario catastrophe sur l'île de Santorin

12:33
Monde

Hongrie : Viktor Orban annonce vouloir "éliminer" les ONG dans le pays

12:25
Monde

Hong Kong va porter plainte auprès de l'OMC en réaction à la hausse des droits de douane américains

12:16
Monde

La Chine fustige la « mentalité de guerre froide » des États-Unis en Amérique latine

12:00
Monde

États-Unis : l'administration Trump prévoit de réduire drastiquement le nombre de travailleurs de l'USAID, menacée de fermeture

11:44
Monde

Haïti : les violences sexuelles contre les enfants ont augmenté de 1000% en 2024

11:33
Monde

L'ONU demande aux États-Unis de revenir sur les sanctions prévues contre la Cour pénale internationale