En Suède, on peut suivre au lycée des cours d'esport comme on suivrait des cours d'art plastique, ou de football. Ces expérimentations n'en sont qu'à leurs balbutiements dans les classes françaises.
L'esport* est un tel phénomène que certains pays ont décidé de l'intégrer à leur système scolaire. C'est le cas de la Suède, où, à la rentrée 2019, plus d'une vingtaine de lycées proposaient d'étudier la discipline. À Nässjö, Stockholm, Göteborg, Borås, Norrköping … «Maintenant, il n'y a pas une grande ville suédoise sans lycée avec une formation en esport», constate Jonte, ancien lycéen option esport à Sävsjö, au sud du pays. Lorsqu'il a commencé en 2015, seulement trois établissements offraient cette possibilité. Maintenant, comme lui, des centaines d'adolescents suédois s'entraînent plusieurs heures par semaine aux jeux vidéo, comme on s'entraîne au volley ou au foot avec l'équipe de l'école.
Où en est la France ? Loin d'être épargnée par la fièvre de l'esport, alors que le match entre Karmine Corp et Solary, deux équipes mastodontes de la scène de League of Legends française, réunit plus de 3 500 spectateurs au Palais des Congrès de Paris, les enseignements de la discipline dans les établissements français n'en sont qu'à leurs balbutiements.
En Suède, une affaire de famille
Si la Suède est autant en avance, c'est que le pays scandinave est l'un des pionniers de la discipline. Il a accueilli les premiers événements liés aux jeux vidéo avant ses voisins européens. « L'esport est notamment né de Counter-Strike, qui émerge en 2000 », explique le français Jonathan Grotzinger, ancien chef de projet de l'entreprise suédoise d'esport ESEN. « Les premières LAN, des événements de partage de données sur des serveurs, avaient lieu entre des codeurs ou DJ par exemple. Et puis, la plupart étaient mordus de jeux vidéo. Ils ont alors pensé à se réunir pour jouer ensemble. » Ainsi sont nés les premiers gros événements esports, autour de Counter-Strike, jeu extrêmement populaire chez les Scandinaves. « Les enfants qui l'ont aimé à sa sortie ont maintenant des enfants. Ils sont devenus des parents sensibilisés et ouverts au jeu vidéo », avance Pierre Loup, ex-manager d'équipes d'esport en France.
En Suède, les familles voient d'un œil positif, sinon bienveillant, la discipline regardée en France avec tant de méfiance. « Là-bas, le jeu vidéo, c'est très famille, ça se transmet. Souvent, les parents initient leurs enfants à ce milieu-là », explique Jonathan Grotzinger. En participant aux conventions "Dreamhack", particulièrement populaires dans un pays et dans l'autre, cette différence lui saute aux yeux : « En France, il y avait très peu de familles. Pour le peu de jeunes accompagnés, on sentait de la part de leurs parents de la crainte, voire de la défiance. En Suède, c'était tout l'inverse. Les enfants devaient presque retenir leurs parents, tant ils étaient partout. » Avec des familles conquises et une histoire ancienne, logique que les jeunes nordiques se tournent plus facilement vers cette discipline dès les études secondaires.
Les Français très scolaires
Malgré une culture plus tardive de l'esport, malgré la méfiance des parents, la France compte tout de même rattraper son retard. Quelques initiatives dans des lycées existent. À Mulhouse, le lycée Louis Armand propose une option esport aux lycéens depuis trois ans, en partenariat avec la Power House Gaming (PHG) Academy. Une expérimentation encore nouvelle, mais positive : une enquête interne à l'établissement montre qu'une partie des élèves a vu ses notes augmenter depuis leur participation – et aucun n'a déclaré de baisse. Dans les Yvelines, une initiative similaire commence à la rentrée 2021, en collaboration avec l'association France Esports. « Ces établissements pilotes sont convaincus que le système éducatif n'est pas adapté à tout le monde. Ils pensent que les jeux-vidéos peuvent permettre de développer des compétences utiles et lutter contre la fracture numérique », témoigne son vice-président Nicolas Besombes. À la différence de la Suède qui mise sur l'esport compétitif, l'éducation nationale conçoit ces projets autour d'objectifs pédagogiques très scolaires : la concentration, l'apprentissage de l'informatique … La compétition reste l'angle mort de ces projets. Retard dans la sphère scolaire ne signifie pas retard général. Sur d'autres aspects, l'hexagone n'est pas en reste, souligne Nicolas Besombes : « La France est en avance sur l'organisation de grosses compétitions, les questions de droit des joueurs professionnels ainsi que sur le tissu associatif.»
Emma Bougerol
*pour electronic sports, défini par l'association France Esports comme « l’ensemble des pratiques permettant à des joueurs de confronter leur niveau par l’intermédiaire d’un support électronique, et essentiellement le jeu vidéo, et ce quel que soit le type de jeu ou la plateforme (ordinateur, console ou tablette) »