Sous les sunlights des tropiques ou aux lacs du Connemara, le répertoire en soirées karaoké ne surprend pas. Mais derrière le micro, des histoires inattendues...
Jacques, c’est la star du Bunny’s, un bar karaoké de Strasbourg. La preuve : il est le seul à avoir une bouteille de whisky avec son prénom inscrit au marqueur sur le comptoir. Et sûrement le seul à avoir comme nom de scène Johnny. "Comme le chanteur". Impossible de rater Jacques : sur son t-shirt blanc, qui brille dans la nuit grâce aux lumières UV, l’idole des jeunes fume une cigarette.
Jacques a dit : "Johnny, je l’ai connu personnellement. J'ai joué avec lui au clavier de 1978 à 1980. Pendant deux ans, j’ai vécu des soirées inoubliables. Puis je l’ai vu 17 fois en concert, dans toute la France."
Comme Johnny, Jacques a des fans : "A chaque fois que je viens, il est là !". Linda, la vingtaine, a choisi une place sous l’écran, aux premières loges du spectacle de "Johnny". Depuis quelques années, elle habite Londres, mais revient au Bunny’s dès qu’elle est à Strasbourg. "Je chante des chansons de mon adolescence. Les gens sont nostalgiques", raconte-t-elle avant de se lever pour aller chanter Au Soleil, de Jenifer. La salle se remplit rapidement, les places assises se font rares, elle transpire la nostalgie.
John, la quarantaine, vient de Californie. Sa prestation sur la très énergique Basket Case, de Green Day, ne passe pas inaperçue. "Cette chanson me rend nostalgique, j’ai grandi avec", raconte l’Américain de passage pour trois jours à Strasbourg.
"Alors la photo, ça vient ?"
Les étrangers, beaucoup d’Erasmus, sont nombreux dans le bar. "On a une chanson nous aussi", nous interpelle une blonde aux yeux bleus, la vingtaine, pensant que l’on note les demandes des gens. Charlène "aka Charly B" est venue avec trois amies françaises et trois Allemands, rencontrés dans son Master. Elle regrette que leurs chansons allemandes n'aient pas beaucoup de succès au Bunny’s.
Il est 23h30. Circuler dans le bar devient difficile, repérer qui chante aussi. Régulièrement, deux noms sont scandés par la foule. Après chaque prestation sur du Johnny, de nombreux fans demandent à Jacques une photo avec lui. "Alors la photo, ça vient ?" réclame la star, qui s’impatiente. "Un habitué du bar lui a même créé un compte Instagram, pour les fans !", nous montre Thomas sur son smartphone.
Thomas, c’est aussi une star et un pilier du Bunny’s. "Je viens trois-quatre fois par semaine, raconte-t-il. J’ai rencontré du monde ici, c’est un exutoire. Souvent, les gens chantent des chansons qui leur parlent. Par exemple, quand je chante Mon fils, ma bataille, de Balavoine, j'ai la larme à l’oeil, car je me bats pour la garde de mon fils." Les néons roses se reflètent dans ses pupilles.
Balavoine, c’est toute sa vie : "En 2011, je chantais Je ne suis pas un héros, en remplaçant "héros" par "euro". J’avais des problèmes dans les médias car je venais d’acheter le Racing Club de Strasbourg pour un euro. Donc la phrase "faut pas croire ce que disent les journaux" me parlait. Regarde, quand tu tapes mon nom sur internet il y a pas mal d’articles sur moi à l’époque." Thomas est en effet Thomas Fritz, l’ingénieur informatique qui était devenu actionnaire majoritaire du RCS en 2011, pour la somme modique de 1 euro.
Il est maintenant 1h30 du matin. Jacques est toujours là, sa bouteille customisée un peu moins. On lui demande à quelle heure il compte partir. Jacques regarde sa montre. Il fait semblant d’hésiter, sourit, et lâche : "A la fermeture, vers 4 heures." Comme une étoile qui s'éteint dans la nuit.
Grégoire Cherubini