L'imam est arrivé à Strasbourg en 2020, après des études théologiques à Rabat. Rencontre.
Kalilou Sylla est devenu imam après un stage à la Grande mosquée de Strasbourg, à l'âge de 25 ans. © Hadrien Hubert
À la Grande mosquée de Strasbourg, sous la coupole en forme de pétales de fleur, Kalilou Sylla, 26 ans, voit défiler plusieurs centaines de fidèles chaque jour. Originaire de Sevran, l’imam a amorcé son engagement religieux à l’adolescence, dans son 93 natal. « Mon rapport à la religion provient de mes parents, musulmans. Je prenais des cours d’arabe comme beaucoup de jeunes de mon âge, puis j’ai eu un déclic, raconte celui dont les parents sont originaires du Mali. J’allais à la mosquée de ma propre volonté, en me reconnaissant dans les discours profonds sur Dieu. » La religion a pris le pas sur le reste quand il a été contraint d’arrêter l’athlétisme, une autre de ses passions d’enfance.
Un dévouement à peine supplanté au lycée par son implication syndicale, lui qui siégeait au Conseil supérieur de l’éducation pour l’Union nationale des lycéens (UNL). Sylla avait pour ambition de devenir proviseur. « En plus de la religion, je suis très attiré par l’éducation », dit-il avec un sourire qui se dessine sous son masque. Son ambition professionnelle prend forme quand il s’engage dans un cursus en administration économique et sociale. Début 2016, il s’envole au Maroc pour y suivre une formation en théologie religieuse.
« Faire un pont entre l'engagement citoyen et religieux »
Le déclic s’est produit quelques mois plus tôt. Les attentats de Paris et de Saint-Denis du 13 novembre 2015 et la montée de la défiance envers l’Islam servent de catalyseur. « J’ai entendu tellement de choses fausses, d’amalgames, d’ignorance sur la religion musulmane. Je voulais faire un pont entre l’engagement citoyen et religieux. » Faute de formations d’imams accessibles financièrement en France, c’est à Rabat qu’il se forme aux sciences religieuses. « Issu d’une famille modeste, c’était impossible pour moi de payer plusieurs milliers d’euros pour une formation à Château-Chinon. »
En juillet 2019, l’Union des mosquées de France (UMF) l’envoie à Strasbourg pour un stage de deux mois. « Je me suis dit, "c’est une trop grande mosquée, je suis encore en formation, je ne suis pas très sûr d’accepter." » Au programme, les cinq prières quotidiennes et des cours d’arabe pour enseigner les fondamentaux de la religion. Il a aussi accompli des missions ponctuelles dans d’autres mosquées de Strasbourg. « Je devais venir chaque été en stage après cette première expérience mais ça a pris un autre tournant... »
« Faire preuve de modernisme »
Alors qu’il s’était installé à Fès (Maroc) pour poursuivre son apprentissage des textes religieux, sa venue à l’été 2020 en stage a été repoussée en raison du Covid. De retour à Strasbourg en septembre de la même année, les frontières entre la France et le Maroc se ferment. Il est bloqué en terres alsaciennes et s’engage en CDI avec la Grande mosquée de la capitale alsacienne, « un peu grâce à un coup du sort ».
La Grande mosquée de Strasbourg a été inaugurée en 2012. © Claire Gandanger / Archives Cuej.info
Alors qu’il s’était installé à Fès (Maroc) pour poursuivre son apprentissage des textes religieux, sa venue à l’été 2020 en stage a été repoussée en raison du Covid. De retour à Strasbourg en septembre de la même année, les frontières entre la France et le Maroc se ferment. Il est bloqué en terres alsaciennes et s’engage en CDI avec la Grande mosquée de la capitale alsacienne, « un peu grâce à un coup du sort ».
En dispensant les textes religieux en arabe et en français, il détonne chez certains habitués de la mosquée. « Notre islam a un héritage lourd, qui date de 14 siècles. Il faut faire un effort d’interprétation sur des questions où l’on doit faire preuve de modernisme, comme l’entrée des non-musulmans dans la mosquée», avance le jeune imam, avant de poursuivre : « Je dis souvent aux jeunes "Vous êtes à la fois français et musulman, vous n’avez pas à choisir, n’ayez aucun complexe." » Poursuivant en parallèle des études religieuses à l’université de Strasbourg, « le plus dur est de concilier les deux, ça me fait un emploi du temps très serré ».
Un imam connecté
Kalilou Sylla est également à l’initiative des Assises des jeunes, organisées chaque dimanche. Une cinquantaine de croyants de 16 à 25 ans se réunissent pour débattre sur des questions sociales et spirituelles. En amont de la séance, les jeunes peuvent choisir via un sondage de l’application Instagram des sujets divers, comme la discrimination, l’amour de Dieu, le harcèlement ou sur des thèmes plus techniques, comme réaliser une bonne prière. Taxé de jeunisme ? L’Imam n’a ressenti aucun doute des fidèles, dont la majorité est âgée de plus de 50 ans : « J’ai le sentiment d’être respecté et les anciens m’épaulent. Il est pourtant évident que lorsqu’un imam est plus vieux, les plus âgés auront davantage de facilités à s’identifier. L’inverse est vrai chez les jeunes quand l’imam est proche de leur génération. »
Hadrien Hubert
Édité par Sarah Dupont