Depuis le post en janvier dernier d'une gynécologue, la polémique enfle sur les réseaux sociaux. En France, il est de plus en plus difficile pour une femme d'obtenir un rendez-vous auprès d'un gynécologue. Si l'Alsace reste pour l'instant préservée, les disparités à l'intérieur de la région sont inquiétantes.
« Je me suis faite poser un implant contraceptif, et pendant 3 semaines je n'étais vraiment pas bien. J'ai voulu me le faire enlever rapidement par un gynécologue, mais les délais sont impressionnants. Je n'avais pas de rendez-vous avant 1 mois. Finalement, c'est un médecin qui a accepté de me l'enlever ». Étudiante strasbourgeoise de 21 ans, Marie n'est pas la seule à avoir faire face à cette situation. Depuis janvier dernier, de nombreuses femmes dénoncent sur les réseaux sociaux leurs difficultés pour obtenir un rendez-vous auprès d'un gynécologue.
Celle qui a mis le feu aux poudres exerce justement dans cette branche. Anne Noblot, gynécologue médicale à Dunkerque, a poussé, le 10 janvier dernier, ce coup de gueule sur Facebook : «J'ai reçu ce matin en consultation une jeune fille de 20 ans, sous pilule depuis 5 ans et suivie par son médecin généraliste qui la voit tous les trois mois pour renouveler son ordonnance de contraception. (…) Cette jeune fille n'a JAMAIS été examinée. Cette situation (ou d'autres analogues) sont fréquentes. Je prends ma retraite d'ici 4 ans. Je suis en colère et triste.(...) Je rappelle que la gynécologie médicale va disparaître d'ici 5 ans »
Partagé plus de 25 000 fois depuis, ce post a fait réagir beaucoup de femmes sur les réseaux sociaux. C'est le cas aussi des internautes alsaciennes. «La semaine dernière, j'ai pris un rdv prévu dans... 2 mois. Que faire si quelqu'un a une urgence ?» s'interroge Lilli. «J'ai pris un premier rendez-vous avec une remplaçante avant le départ en retraite et depuis personne n'est venu la remplacer» constate Alisson.
En dix ans, 42 % de gynécologues médicaux en moins
Tandis que les gynécologues obstétriciens se chargent exclusivement des grossesses et des accouchements, les gynécologues médicaux assurent le suivi des femmes. Contraception, dépistage des maladies génitales, dépistage des cancers gynécologiques et du sein, les missions du gynécologues médicaux sont aussi diverses que nécessaires.
Pourtant, au niveau national, leur nombre a chuté de 42% entre 2007 et 2017. C’est le cas aussi en Alsace, où on ne compte plus que 32 gynécologues médicaux et médicaux-obstétriciens en 2018 contre 46 en 2010. Les chiffres du Comité national de l'ordre des médecins sont éloquents.
Ce déficit conduit de plus en plus de gynécologues obstétriciens à se focaliser uniquement sur le suivi des femmes, comme le signale Odile Bagot, elle-même gynécologue obstétricienne à Strasbourg : « J'ai effectué mon internat en gynécologie obstétricienne. Pourtant aujourd'hui je me concentre surtout sur le suivi de mes patientes. En Alsace, beaucoup de mes collègues ne font plus que du médicales »
En Alsace, de grande disparités entre le nord et le sud
Si l'Alsace n'est certes pas la région la plus à plaindre, la situation sur le territoire est très contrastée. L’essentiel des gynécologues libéraux toutes spécialités confondues exercent autour de Strasbourg. Selon le chiffrage des Unions Régionales des Professionnels de Santé, 66 sur 132 travaillent au sein de l’Eurométropole. On en compte 88 dans le Bas-Rhin, et seulement 44 dans le Haut-Rhin.
Odile Bagot constatent aussi ces disparités : «Pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer, avoir un suivi gynécologique régulier peut être compliqué. C'est notamment le cas dans le nord de l'Alsace, où le territoire, moins bien desservi par les transports en commun, est plus enclavé.»
Faute de spécialistes, certaines femmes se tournent vers des médecins généralistes et des sages-femmes. Une décision qu'Odile Bagot comprend, mais elle met en garde contre certaines dérives : «Si l'on n'a pas accès à un gynécologue, faire appel à une sage-femme ou un médecin est toujours mieux que rien. Mais il faut que ces derniers aient la formation et le matériel adéquat. Il ne faut pas oublier que les gynécologues se spécialisent dans ce domaine pendant plusieurs années. Une consultation auprès d'un véritable spécialiste reste indispensable.»
Pour la rentrée 2018, le ministère de la santé a annoncé une augmentation de 28% du nombre postes d'internes ouverts en gynécologie médicale, soit 82 postes. Un chiffre insuffisant, selon le Comité de défense de la gynécologie médicale (CDGM), qui rappelle que de nombreux spécialistes s’apprêtent à prendre leur retraite. Près de 62% d'entre eux ont 60 ans et plus. Un situation qui inquiète le CDGM car « sans le renouvellement indispensable de ces spécialistes », les conséquences se feront sentir «sur la santé des femmes, et en particulier des jeunes générations.»
Lucie Duboua-Lorsch