Le mouvement anti-pass prend la route ce vendredi de Strasbourg vers Paris. Un moment de convivialité, d’allégresse, d’espoir collectif... Où la politique n’est consciencieusement pas discutée. Trop tôt, trop clivant ? La récupération politique pointe le bout de son nez.
Une cinquantaine de véhicules s'élancent au son des klaxons, direction Paris. © Emma Bougerol
« Apolitique. » Sur le parking du Auchan, en attendant le départ du convoi, l’adjectif est dans toutes les bouches. « On est un mouvement apolitique. » Comme les Gilets Jaunes à leurs débuts, les personnes rassemblées ce vendredi refusent de se placer sur le spectre politique. Ils sont contre le pass sanitaire, pour la liberté, et c’est tout. « Je ne me suis jamais senti aussi libre que maintenant, je n’ai jamais fait autant de rencontres, de tous les bords politiques, de toutes catégories de gens. »
Robin est chargé de coordonner l’événement. « Apolitique », mais en privé, les avis politiques divergent. Entre deux obligations, l’organisateur glisse : « Personnellement, je suis plutôt un soutien de Florian Philippot [dissident du RN et leader des Patriotes, proche du mouvement anti-pass]. Il est décrié, parce qu’on se rappelle toujours de ses antécédents, on dit qu’il est d’extrême droite... Mais c’est biaisé. La gauche, la droite, c’est pas ça qui m’intéresse, c’est les projets qui sont derrière. »
Un mouvement apolitique avec des participants qui votent
Quelques mètres plus loin, Thierry, en tenue intégrale de moto, l’assure : « On se connaît tous ! Des manifs, entre bikers … Quand on se rencontre, on ne parle pas de politique. Qu’on soit de gauche ou de droite, peu importe. » Ses voisins hochent la tête. Tous les samedis, à Strasbourg, il est en manif avec son tambour. S’il ne parle pas politique, il n’a pourtant pas loupé un seul vote : « J’ai toujours été socialiste. En 1981, j’ai sorti le champagne quand Mitterrand a gagné. Mais ceux du PS d’aujourd’hui, ils me dégoûtent. Une chose est sûre : je voterai pour quelqu’un qui est contre le pass sanitaire. J’ai jamais voté FN, alors je ne vais pas m’y mettre aujourd’hui. Du coup, je vais voter à gauche. Roussel, je pense. » Avec un sourire, il ajoute : « Ici, il n’y a pas de facho, que des gens cools. »
Au-dessus de la tête des participants, flotte un drapeau alsacien. Au bout du mât, Pascal regarde les journalistes d’un air méfiant. Lui a décidé d’abandonner la politique : « Aux prochaines élections, au premier tour, je vais voter pour une petite liste juste pour les aider à rembourser leurs frais de campagne. Poutou, je pense. Au second, je m’abstiens catégoriquement. » Sur l’orientation politique du convoi, il lance : « C’est un mouvement apolitique ici, y a pas de leader. Il n’y a ni d’extrême gauche ni d’extrême droite ici avec nous… Pas de gros mec baraque ou tatoué. Ou alors c’est dans leur tête, bon, ça je ne peux pas le savoir. »
À quand la récupération politique ?
Dans la foule, un jeune homme se tient souvent seul, observe. « Je suis venu voir le départ par curiosité, je viens prendre la température », raconte-t-il. Il ne s’épanche pas sur ses idées politiques : « J’ai un peu milité à droite à gauche, aidé des copains, notamment pour Rivarol [hebdomadaire d’extrême droite, condamné à de multiples reprises pour incitation à la haine, négationnisme…], un peu toute cette sphère. Je suis plutôt copain avec ces gars-là, je tracte pour eux. » Il se définit lui-même comme un « intrus » dans ce rassemblement. Mais un « intrus » présent.
Pour l’instant, ça cause trajet, pass sanitaire ou prix de l’essence. Être d’accord sur ça, ça suffit apparemment. Les discours ne portent que sur la liberté retrouvée et l’espoir. Pour combien de temps ? La récupération politique pointe le bout de son nez. Le candidat Jean-Luc Mélenchon, sur France 2 ce jeudi, a tendu la main au mouvement naissant : « Voilà des gens qui se mettent en mouvement en parlant de pouvoir d'achat, je ne peux pas être contre ça (…) Ils disent qu'ils sont contre le pass vaccinal, moi aussi, je ne vais pas leur dire qu'ils ont tort. » La présidentielle arrive à grands pas. Quel chemin politique va prendre le convoi de la liberté ?
Emma Bougerol
Édité par Emma Barraux