En grève depuis trois mois, les travailleurs de l'usine de mobilier de bureau ont du mal à envisager leur avenir. Une délégation était reçue mercredi au ministère de l'Industrie.
L'un des salariés grévistes salue avec ironie les camions qui déménagent le matériel de l'usine. Photo : Max Donzé
« On a donné notre vie pour cette boite, et là on se fait jeter. » Ce matin, comme tous les matins depuis 86 jours à Illkirch-Graffenstaden, devant l’usine de mobilier de bureau Clestra où 90 % des 130 travailleurs sont en grève, les bouches sont serrées et les regards crispés. Au lendemain de l’annonce de l’entreprise de se déclarer en cessation de paiement, les ouvriers n’attendent plus rien. Mardi 3 octobre, le tribunal de commerce de Paris devrait enregistrer le dépôt de bilan de l’entreprise. « On est des futurs chômeurs », souffle Philippe (1), délégué syndical et menuisier à Clestra depuis près de 30 ans.
Aucune garantie pour sauver les emplois
« J’ai passé trois mois en grève, ça m’a coûté 6 000 euros pour rien », regrette Éric, 45 ans, mobilisé depuis le premier jour. Après l’annonce de mardi, il en veut à tout le monde, même aux partenaires sociaux. « Si je vais à l’abattoir, tu ne me fais pas brouter l’herbe pendant des mois », dénonce-t-il en pensant à la numéro un de la CGT, Sophie Binet, qui s’est rendue sur le site le 24 août dernier pour soutenir la grève des ouvriers.
À l’origine du mouvement, il y a la reprise de Clestra par le groupe Jestia, en octobre 2022. Les relations avec le repreneur sont tout de suite tendues, les salariés craignent pour leur emploi alors qu’un déménagement de l’activité est prévu au port du Rhin, sur un site beaucoup plus petit. C’est en juillet 2023 que la grève se déclenche. Le déménagement commence, la direction propose des départs volontaires, mais les ouvriers n’obtiennent aucune garantie pour la sauvegarde de leur emploi. Ils soupçonnent le groupe Jestia de simplement vouloir prendre ce qui a de la valeur dans l’entreprise : « Le mec, il a pris les brevets, les machines et voilà », raconte Philippe.
Les grévistes suivent attentivement les évolutions politiques. Photo : Julie Lescarmontier
Une rencontre organisée en urgence au ministère de l'Industrie
« Avec quatre ans d’ancienneté, je vais partir avec 2 000 - 3 000 euros et j’en ai perdu 6 000 pendant la grève », se désespère Loris. Alors que chacun tente d’estimer le montant du chèque qui va lui être versé après la liquidation judiciaire probable, quelques véhicules entrent sur le site. « Ça c’est un camion qui vient vider l’usine », il repart quelques minutes plus tard, « mais c’est les étagères ! » L’un des ouvriers fait des grands gestes au chauffeur en lançant : « Au revoir Clestra ! ». Sous leurs yeux, l’usine se vide peu à peu. Ismaël se sent trahi. « Je me suis toujours battu pour que cette boîte fasse de l’argent. Avec ce qu’on a vécu là, on sait qu’on ne peut plus croire personne », confie-t-il.
Philippe garde pourtant un œil sur son téléphone, il attend des nouvelles d’une réunion à Paris entre des représentants du ministère de l’Industrie, de la CGT et le député LFI d’Illkirch-Graffenstaden, Emmanuel Fernandes. Une rencontre organisée dans l’urgence après l’annonce du dépôt de bilan. Marc Andreoli, 42 ans et 18 ans d’ancienneté, a accompagné la délégation à Paris. À la fin de la réunion, la délégation a obtenu l’engagement de la part du ministère de la tenue d’un Plan de sauvegarde de l’emploi. « Reste à savoir ce qu’il y aura dedans, on espère le meilleur, histoire de partir la tête haute. On s’est battu pour ça, c’est un nouveau livre qui va s’ouvrir », espère-t-il.
Contactée, l’entreprise Clestra n’a pas voulu répondre à nos questions.
(1) Tous les prénoms ont été modifiés
Max Donzé et Julie Lescarmontier
Édité par Jean Lebreton