Comme une vingtaine de jeunes alsaciens, Lola* participera à un défilé de mode organisé par une école de management. Un évènement amateur, semblable à tant d'autres en France. Rencontre avec une jeune semi-pro du mannequinat qui garde la tête sur les épaules.
Peu d'élues dans le monde du mannequinat, ces trois jeunes filles ont été recalées. Crédit : Anna Cuxac/Cuej
Coup de hanche, compter jusqu'à trois, demi tour la tête haute. Sur ses talons à plateau, Lola* a plus d'aisance que la plupart des filles qui répètent les défilés de la Fashion Week de l'école de management (EM) de Strasbourg lundi soir. Normal : Lola, 21 ans, est une semi-pro habituée des concours de miss qui sait se mouvoir sur un catwalk.
C'est avec un concours de miss, en 2011, que tout a commencé. Elle obtient la quatrième place et se fait repérer par l'association La mode à Strasbourg, qui lui propose d'intégrer sa team de mannequins. Des shootings, des défilés... depuis quelques mois, Lolita se fait en moyenne 800 euros de revenus complémentaires à son travail dans un groupe d'assurances. De « l'argent facile » lui dit son père, « qui ne comprend pas ce monde de strass et de paillettes alors que lui a dû travailler dur toute sa vie ». Il ne viendra pas aux défilés de vendredi et samedi, mais ses amis oui, qui l'encouragent, « puisqu'elle est polyvalente » avec son job alimentaire à côté.
Ma mie, allons voir si la rose...
Ses longs faux-cils fournis par une marque de cosmétique dont elle est l'égérie s'animent quand on lui demande si elle consacrerait sa vie au mannequinat si on lui en offrait la possibilité. « Mais il faut assurer ses arrières ! Je suis contente d'avoir un pied dedans et un pied dehors. J'ai des amis footballeurs mais ils font quoi de leur vie à 35 ans, sans diplôme ? », s'inquiète-t-elle. Lola se pose beaucoup de questions sur « l'éphémère » d'une petite carrière de mannequin de province et rejoint son père « qui dit que c'est une illusion qui prend fin quand arrive la vieillesse ».
En attendant que les roses ne se flétrissent, la reine de beauté ne se prend pas trop au sérieux et sait bien que sa taille – un mètre soixante-cinq - ne correspond pas aux canons de la mode parisienne. Au niveau local, ses talons de dix centimètres sont des alliés qui lui permettent de passer entre les mailles du filet. « C'est sûr qu'elle ne peut prétendre à une carrière nationale mais Lola a un très joli sourire, du charisme et de la présence », observe Anne-Sophie Moussard, présidente de l'association La mode à Strasbourg.
Même si elle ne sera pas rémunérée pour les défiés de vendredi et samedi, Lola y participe avec plaisir, « et pour se montrer présente » dans un milieu qui jusqu'ici ne lui a pas été cruel. Mais des déconvenues arrivent. Durant la répétition, huit jeunes filles ont appris qu'elles ne participeraient finalement pas aux défilés de vendredi et samedi. Anne-Sophie Moussard a préféré les filles « plus pros », c'est-à-dire Lola et ses amies. « C'est un peu irrespectueux et pas très pro », dira Lola.
« Casser l'image »
Car les pieds de Lola ont beau être habillés dans des talons aiguille bleu pétrole, ils sont bien ancrés sur terre. « Le mannequinat, c'est un moyen d'expression », pense-t-elle. Chez elle, ce n'est pas vraiment un élément de langage. La jeune fille originaire du Ghana a « une cause à défendre, et c'est plus facile quand on a un titre pour être entendu ». La première dauphine de miss Ghana-France 2012 veut mettre en avant la lutte contre la drépanocytose. Cette maladie lui a enlevé sa mère et un frère. Anomalie de l'hémoglobine, elle bloque la circulation de l'oxygène dans le sang. C'est la première maladie génétique dans le monde, particulièrement présente en Afrique de l'Ouest.
Chez Lola, ça se traduit par des crises de paralysie dans les jambes qui nécessitent l'hospitalisation. La dernière fois, c'était il y a dix jours. Aujourd'hui, il n'y paraît rien et elle pourrait courir si l'organisatrice de la répétition le lui demandait. Vêtue de noir et foulard noué à la tête, elle dit que la médiatisation de son « handicap intérieur et invisible » via son travail permet de « casser l'image de la miss parfaite ». Avec une certaine incohérence, Lola se dit n'être pas prête à révéler sa maladie « aux Strasbourgeois ». Si elle porte l'étendard de la cause « à Paris lors de concours de miss », elle préfère que son nom ne soit pas cité dans nos colonnes.
Anna Cuxac
*Le prénom a été modifié en raison de la maladie de Lola.