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06/02/20
17:46

Élection en Thuringe : le séisme politique qui touche l'Allemagne

Critiqué pour avoir obtenu des voix de députés d'extrême-droite, le libéral Thomas Kemmerich a présenté sa démission, jeudi 6 février, au lendemain de son investiture.

Thomas Kemmerich détient désormais le mandat le plus court de l'histoire. Photo Sandro Halank / CC BY-SA 4.0

Un séisme de forte magnitude secoue le paysage politique allemand depuis que le candidat du parti libéral (FDP), Thomas Kemmerich, a décroché, mercredi 5 février, le poste de président de la région Thuringe en Allemagne, grâce notamment aux voix de députés régionaux du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD).

Dans la foulée, des voix de tous les bords politiques se sont élevées pour protester contre une faute jugée impardonnable. Des citoyens sont descendus dans la rue pour crier leur mécontentement. Face à la pression, Thomas Kemmerich a été contraint d’annoncer sa démission, moins de vingt-quatre heures après son élection.

Montée de l’extrême-droite

La secousse a été brève mais assez forte pour laisser des traces indélébiles. C’est en effet la première fois qu’un parti de la droite allemande accepte l’aide de l’AfD pour arriver au pouvoir. Jusqu’ici le parti était plutôt persona non grata sur la scène politique outre-Rhin. Libéraux comme conservateurs (la CDU d’Angela Merkel) ont toujours clamé qu’ils refusaient quelconque alliance.

Mais le parti nationaliste, populiste et europhobe continue de faire son trou et gagne des voix à chaque nouvelle élection régionale. En Thuringe, justement, il est arrivé deuxième des législatives régionales en octobre dernier, avec 23 % des votes, juste derrière Die Linke, le parti de gauche radicale actuellement en place au gouvernement régional, le seul qu’il copilotait jusqu’ici.

La CDU d’Angela Merkel est arrivée troisième mais affaiblie lors de ces mêmes élections, perdant onze points par rapport aux précédentes élections, en 2014. Parallèlement, l’AfD en a gagné douze. Face à cet échec, ils étaient quelques-uns au sein du parti à réclamer un débat sur un éventuel rapprochement avec la force d’extrême-droite.

Un “tabou brisé”

Mais cette solution a plutôt fait l’unanimité contre elle au sein du parti conservateur. Pour preuve, la chancelière Angela Merkel a jugé que l’élection de Thomas Kemmerich était un « jour noir pour la démocratie ». Dans un pays qui a connu le nazisme, faire alliance avec un parti d’extrême-droite est perçu comme une vraie trahison envers les valeurs républicaines.

Bodo Ramelow, président sortant de Thuringe (Die Linke), est allé jusqu’à comparer son rival libéral à Hitler sur son compte Twitter, photo à l’appui. Il a même cité l'ancien chancelier, dont le parti avait remporté les élections en Thuringe en 1930 : « Nous avons rencontré notre plus grand succès en Thuringe. C'est là que nous sommes réellement un parti décisif. Les partis de Thuring, qui formaient jusqu'ici le gouvernement, ne peuvent plus construire de majorité sans notre concours. »

Son collègue Bernd Riexinger (Die Linke) a déploré un « tabou brisé » : « Jusqu’où sommes-nous allés, pour que la FDP laisse un président régional être élu grâce aux voix de l’AfD fasciste ? »

Cette élection est d’autant plus choquante que tout le monde s’attendait à voir réélu Bodo Ramelow (Die Linke). Son parti était arrivé en tête des élections d’octobre, sans pour autant réussir à atteindre la majorité.

L’idée était alors de former un gouvernement minoritaire en coalition avec les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts (Bündnis 90 - Die Grünen). Alors qu’il avait perdu les deux premiers tour de l’élection - le président de région est élu par les députés du Parlement régional - Bodo Ramelow pariait sur ce troisième tour, à la majorité relative, pour renouveler son mandat. C’était sans compter sur la stratégie du parti libéral.

Conséquences électorales et politiques

Ce rapprochement avec l’AfD est d’autant plus inquiétant qu’il se déroule dans un contexte de forte montée de l’extrême droite dans les Länder de l’ex-RDA. Avant les législatives de Thuringe, le parti avait déjà opéré une percée remarquée au Brandebourg et dans la Saxe (Land voisin de Thuringe).

Et ce n’est pas sans conséquence sur l’ensemble du pays, où la politique nationale est régie par un système fédéral. Les gouvernements régionaux sont tous membres du Conseil fédéral, chargé d’approuver les lois nationales et européennes votées en Allemagne. D’autant plus que l’AfD possède déjà 91 sièges au Bundestag, le Parlement allemand, depuis les élections législatives 2017, déjà vécues comme un séisme.

Les élections régionales ont aussi des répercussions sur les élections de niveau fédéral et sont, pour cela, scrutées de près par les partis politiques. Ainsi, le président du parti libéral Christian Lindner a-t-il demandé, jeudi 6 février dans l’après-midi, un vote de confiance au conseil d’administration de son parti. L’avenir politique qui se dessine en Allemagne est de plus en plus flou. Qui sait ce qui peut arriver d’ici les prochaines élections législatives, prévues en 2021.

Sarah Chopin

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