Plus d'un tiers du conseil municipal a déserté, dénonçant les dérives "autocratiques" du maire Jean-Marie Kutner. Un procédé "violent et illégitime", un "coup d'état", rétorque le premier magistrat.
Il se dit victime d'un "coup d'état". Jean-Marie Kutner reste fermement accroché à son fauteuil de maire. Après la désertion d'un tiers du conseil municipal, sa place sera tout de même remise en jeu. Depuis samedi 27 janvier, quinze élus ont annoncé leur démission de l'assemblée communale. Convoquant la tenue d'une nouvelle élection municipale dans les trois prochains mois, comme le prévoit le code électoral. A la tête des frondeurs : Christian Ball. L'ancien premier-adjoint Les Républicains (LR) dénonce "la dérive comportementale autoritaire et bétonnière" du maire UDI (Union des démocrates et indépendants), dont il a partagé la liste lors de l'élection municipale de 2014.
"À la moindre interrogation, il vous fait la tête"
Jean-Marie Kutner parle d' "un acte" qu'il "qualifierai[t] presque de terroriste". Surnommé le "bulldozer", le premier édile se voit reprocher une absence totale de discussion sur les grands projets d'urbanisme, clé de voute de son programme en 2014 et de sa promesse de débarrasser la commune de ses friches industrielles. "Le maire semble craindre les débats et les explications", observe Danièle Dambach. La conseillère municipale d'opposition (EELV) décrit une "gestion autocratique" des dossiers : "A la moindre interrogation, il vous fait la tête. Ce n'est pas l'attitude d'un homme en responsabilité."
"Sur un navire, il y a 50 marins mais un seul capitaine qui décide, assume le maire. Je suis là pour prendre des décisions et faire avancer ma ville. La légitimité s'obtient dans les urnes, pas dans des combats d'arrière-cour, soutient l'ancien pharmacien. Nous serons réélus, car je sens un mouvement de révulsion de la population, dans la rue comme sur les réseaux sociaux."
"Le maire s'est moqué de nous"
Route de Bischwiller, justement, on ne se fait pas prier pour commenter les réglements de compte entre élus. "C'est le maire béton, il met du béton partout", s'exclame la tenancière d'un magasin. Dans cette rue, chacun a son mot à dire sur l'édile. En 2016, l'un des trottoirs s'était effondré, fermant partiellement la rue pendant deux mois. Devant la fréquentation en baisse, les commerçants avaient rencontré l'équipe municipale. Une réunion restée en travers de la gorge de l'un d'entre eux : "Elle n'a servi a rien, le maire s'est moqué de nous." Plus loin, un vendeur de fournitures domestiques acquiesce : "Il n'en fait qu'à sa tête." A l'exception d'une caissière qui l'a trouvé "gentil", les boutiquiers shilikois et leur clients sont partagés entre amusement et agacement lorsqu'on leur parle de leur maire. Et ces derniers ne savent plus à quel saint se vouer pour l'élection à venir. Les uns regretteraient presque Raphaël Nisand, le précédent maire (passé du PS à En Marche), "au moins, on pouvait lui parler". Les autres ne donnent pas une chance à l'ancien édile, mais gardent une tendresse pour l'ex 1er adjoint, Christian Ball, avec son "un air intègre", disent-ils.
"Il n'y a pas eu de démocratie participative"
L'intégrité, c'est une qualité à laquelle tient Col'shick, l'une des associations citoyennes sorties de terre avec les velléités immobilières des dernières mandatures pour "humaniser les projets immobiliers" et "faire entendre la voix des citoyens dans une période de tractations entre promoteurs, propriétaires et la ville." Attentive aux grands travaux lancés par la municipalité, Louisa Krause, présidente du collectif, déplore "une absence d'écoute. Il n'y a pas eu de démocratie participative. La seule fois où nous avons pu approcher le maire, il a tenté de nous instrumentaliser." Roland Herb, du Collectif pour une médiathèque nord, abonde dans le même sens : "C'est le type d'élu qui va dire que comme il est le maire, il a raison, point barre."
Via la page facebook "Contre la bétonisation de Schiltigheim", les habitants mobilisés tirent à boulets rouges contre la mandature actuelle, la précédente et l' "opportuniste" Christian Ball en prend aussi pour son grade : "un complice et un récupérateur".
"Je n'ai jamais violé personne"
Pressé de mener à bien les chantiers promis en 2014, Jean-Marie Kutner semble effectivement enclin à faire tourner la bétonnière. Quitte à faire fi des remarques et contestations de la collectivité ? "Après avoir tenté de me faire tomber sur les finances, ils m'ont attaqué sur l'urbanisme, tempère-t-il Aujourd'hui on me reprocherait mon caractère. Demain, ils diront que je pue des pieds." Quant au "comportement autoritaire" et "accrochages avec des habitants" relevés par Christian Ball, le maire n'y va pas avec le dos de la cuiller : "Je ne bats pas ma femme ni mes enfants, et je n'ai jamais violé personne, se défend M. Kutner. Je croise une trentaine de personnes chaque jour, il peut arriver quelques soucis. Deux dames sont venues un jour m'insulter à la mairie : je me suis défendu."
La formation d'une liste commune LR/UDI en 2014, soudée par la volonté d'éjecter le maire sortant, Raphaël Nisand, n'aura pas survécu à la mandature. Le climat actuel est le résultat d'une "gouvernance verticale sur une coalition bancale", analyse un élu strasbourgeois. "Nous nous heurtons depuis plusieurs mois à un déni total de ce que devrait être la démocratie, se justifie Christian Ball. On ne peut plus avoir confiance dans un maire qui refuse la concertation." Organisée dans les trois prochains mois, l'élection municipale "aura le mérite de clarifier la position de chacun", anticipe Jean-Marie Kutner. Sans doute le seul point qui fait l'unanimité au conseil municipal.
Pierre-Olivier Chaput et Corentin Lesueur