Bruno Criqui, 47 ans, est bénévole pour les Restos du Cœur. Il connaît bien cette institution pour l'avoir fréquentée il y a douze ans en tant que SDF. Maintenant, il cuisine pour eux.
Mercredi soir, 17 heures, le bâtiment est situé derrière la gare centrale de Strasbourg. Un étendard au-dessus de l'entrée affiche La Fringale. Bruno Criqui est là pour ouvrir les portes et les fenêtres. C'est ici, dans les Restos du Cœur que les bénévoles préparent les repas qui sont distribués lundi et mercredi soir à la Place de la Bourse. Bruno s'installe dans la cuisine, entouré des casseroles gigantesques. Il est le premier, et il sera un des derniers à rentrer à la maison ce soir.
Bruno Criqui dans la cuisine de La Fringale. Photo: Simone Ahrweiler
Bruno est alsacien, il n'a jamais quitté la région. A l'âge de 18 ans, il quitte l'école. "J'étais pas un mauvais élève, mais ça ne m'intéressait pas." Il décide d'entrer en formation de boucher et obtient le CAP. Une étape qui comptera. En 2004, Bruno, entre-temps chef d'équipe d'une société de transport, est licencié : "Suite à ça, j'étais dans la rue pendant six mois. Au début, je venais à La Fringale pour dormir au foyer d'hébergement qui se trouve au-dessus." Les bénévoles offrent un petit-déjeuner aux personnes dans le besoin dont Bruno il y a douze ans.
"Un jour, le chef de l'équipe m'a demandé si je voulais travailler ici à la distribution de la nourriture. J'ai dit oui." Son chef est content de lui et le jour venu, les chefs de cuisine prennent leur retraite, on demande à Bruno, l'ancien boucher, s'il ne veut pas s'occuper de la cuisine à La Fringale. Et bien sûr, il accepte.
"Il est notre chef cuisiner!"
A La Fringale, ils le connaissent tous: "Il est notre chef cuisiner!" raconte Béatrice, membre de l'équipe des bénévoles de ce mercredi soir. "Bruno est le pilier de La Fringale. Il est toujours là, il sait tout, il s'occupe de tout, il travaille tous les jours, dimanche inclus." En entendant cela, Bruno regarde ses mains et hausse les épaules. "C'est normal, quoi." L'équipe le contredit.
Jean-Luc Bailly, le responsable de l'équipe du Bus du Cœur, sait pourquoi lui et les autres l'apprécient en tant que membre de leur équipe. "Sans lui on aurait du mal à tourner. Souriant, le dirigeant ajoute : Il est râleur, de mauvais humeur souvent – mais efficace. Et tu peux lui faire confiance à cent pour cent."
Bruno à la Place de la Bourse. Photo: Simone Ahrweiler
Le Bus du Cœur, un bus de ligne aménagé à l'intérieur, offre pendant les saisons froides quelques places pour manger dedans. Au fond, il est possible de chauffer et distribuer jusqu'à 500 plats. Deux fois par semaine, l'équipe s'installe sur la Place de la Bourse. Dans les mois d'été, il n'y a pas le bus, mais une camionnette blanche. Le logo des Restos du Cœur apparaît sur les portes et sur le capot. Jean-Luc, Bruno et les autres bénévoles se mettent à charger le véhicule. Arrivés à la Place de la Bourse, une vingtaine de personnes attendent déjà.
"A la fin du mois ils sont plus nombreux à venir. Au début, ils ont encore de l'argent", raconte Bruno. Il connaît la majorité des noms, ils se saluent d'une poignée de main. Il sait qui sera là, il connaît leurs histoires. Ce soir aussi, ils font la queue devant la camionnette. Il y a des sandwichs avec fromage ou jambon, des petits yaourts aux fruits, une soupe fumante, du thé, café et aussi du chocolat chaud pour les enfants. Ceux qui sont là ne parlent pas français, mais ils sourient quand on leur donne les petits gobelets en plastique fumants.
Les bénévoles distribuent du chocolat chaud. Photo: Simone Ahrweiler
Pour le moment, Bruno ne travaille qu'à La Fringale en tant que bénévole. Est-il content de ce qu'il fait? "Parfois oui, parfois non. Le seul problème c'est que ce sont toujours les mêmes qui viennent. Je me demande si ça vaut la peine ce qu'on fait." Bruno conserve l'espoir qu'un jour, ils ne seront plus dépendants des Restos du Cœur, qu'ils réussiront à s'en sortir comme lui.
Ils donnent de l'espoir
"S'il n'y avait pas les Restos du Cœur, je serais peut-être encore dans la rue", confirme Bruno. Il remercie l'équipe par son engagement. Depuis longtemps il n'habite plus au foyer d'hébergement au-dessus de La Fringale. Les dernières années, il a tenté plusieurs fois sa chance ailleurs mais il est toujours revenu.
Simone Ahrweiler