Manon et ses collègues sensibilisent les usagers de la CTS au comportement à adopter lorsqu’on est témoin d’agression. Photo Cuej.info / Amjad Allouchi
« J’ai vu et vécu tellement d’agressions sexistes ou sexuelles que je n’en ai presque plus de souvenirs. » Clara*, 25 ans, témoigne, presque résignée. La jeune femme quitte la file d’attente interminable devant l’agence commerciale de la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS) pour se livrer, « c’est important d’en parler ». À côté, l’association Dis bonjour sale pute tient un stand pour sensibiliser les usagers des transports en commun aux violences sexistes et sexuelles dans les transports. La jeune femme égrène les situations de harcèlement ou d’agression auxquelles elle a assisté et qu’elle a vécues dans les transports en commun, une énumération presque interminable. Des « hommes collants » dans le tramway quand elle était mineure, des « dragueurs lourds » qui insistent pour avoir son numéro, un « mec » qui faisait délibérément le même trajet qu’elle dans l’unique but de la filer, un « type louche » qui la suit en sortant du métro parisien…
« Il y a quelques années, un gars s’est assis à côté de moi dans le tram et a insisté pour avoir mon numéro. À l’époque, c’était presque normal et j’étais timide. Je n’ai pas osé dire non. » Sa timidité l’a aussi parfois empêchée d’agir en tant que témoin. Elle relate une scène qui l’a perturbée, dans le métro lyonnais. Un homme se rapproche alors d’une femme qui semble gênée par son comportement. Il écarte les jambes, lui parle à voix basse, se lève pour lui tourner autour. Elle ne répond pas. « Charpennes – Charles-Hernu », c’est l’arrêt de Clara. Elle quitte la rame la boule au ventre de ne pas avoir su analyser la situation à temps pour intervenir.
Un « sauvetage »
Aujourd’hui, Clara assure qu’elle ne se laisserait plus intimider. D’autant que le harcèlement ne s’est jamais arrêté. « Il y a trois jours, je disais à mon copain que j’étais sûre que je me ferais encore agresser. Le lendemain, je m’abritais de la tempête près du tram Étoile-Bourse. Un homme se colle à moi. Je décide de m’éloigner et d’attendre près de la gare routière. Il me suit encore et me colle. Je m’abrite dans l’entrée des toilettes. Il campe juste devant, à 1 m de moi. Heureusement qu’une femme était à l’intérieur et parlait fort au téléphone, je pense que ça l’a empêché d’entrer... »
Elle se souvient, avec une pointe d’humour, d’un « sauvetage » inopiné. Dans le tramway montpellierain, un homme, la cinquantaine, l’aborde avec véhémence, mais la jeune femme reste sidérée. Une autre passagère, qu’elle connaissait déjà vaguement, s’approche de la scène, prend la main de Clara et lui dit « ça va ma chérie ? On y va ? ». Elle l’éloigne de l’homme qui abandonne sa victime. La tension retombe.
« S’adresser à la victime comme si on la connaissait »
Cette témoin d’une scène de harcèlement a eu les bons réflexes : divertir et dialoguer. Deux des cinq attitudes à adopter dans de telles situations, comme le préconise l’association Dis bonjour sale pute, fondée par Emanouela Todorova. « On est là pour sensibiliser ceux qui ne savent pas que ça arrive et donner les moyens de réagir à ceux qui en sont déjà conscients », développe Manon Schoenberger, co-responsable du pôle graphisme de l’association. Celle-ci avance un chiffre effarant : 100 % des femmes utilisant les transports y ont vécu une agression sexiste ou sexuelle. Sachet de bonbons à la main, elle approche les clients qui prennent leur mal en patience dans la longue file d’attente devant le point de vente CTS.
« Bonjour vous voulez des bonbons ? » Ça ne se refuse pas. « Vous avez un petit moment à m’accorder ? » Quitte à attendre, autant papoter. Manon interroge les personnes sur leur expérience, en tant que victime ou témoin. Ensuite, elle leur confie un « harcèlomètre » : un graphique, mis au point par Dis bonjour sale pute, qui permet de jauger de la qualité du trajet. Il sera bientôt affiché dans tous les bus et tram du réseau CTS.
Visuel Dis bonjour sale pute
Elle détaille enfin ce que sont les 5 D : la règle d’or lorsque l’on est témoin d’une agression à caractère sexiste ou sexuel.
Distraire. Ici, il s’agit de retourner la situation en s’adressant à la victime comme si on la connaissait : « Vous pouvez vous approcher et saluer la victime, lui demander de ses nouvelles, prétendre que vous ne vous êtes pas vu depuis longtemps. »
Déléguer. Utile pour des personnes timides ou effrayées. « Le témoin peut interpeller les autres passagers et passagères sur la situation en attirant leur attention sur ce qu’il se passe pour que quelqu’un agisse. »
Diriger. L’approche autoritaire. Le témoin peut s’imposer et confronter l’agresseur lui-même. « On peut s’interposer et s’adresser directement à l’agresseur, lui ordonner d’arrêter. On peut lui dire que ce qu’il fait n’est pas tolérable. »
Documenter. Enregistrer pour avoir des preuves. « Il ne s’agit pas de filmer pour envoyer ça sur les réseaux ! C’est pour avoir une preuve vidéo ou audio au cas où la victime décide de porter plainte. »
Dialoguer. Être là pour la victime, pour qu’elle ne soit pas seule. « Que ce soit pendant les faits ou après coup, on peut parler à la victime, lui demander si elle va bien. On peut être sidéré, choqué. Avoir quelqu’un qui nous parle à ce moment, ça aide. »
« Aujourd’hui, tout le monde sait que ces choses arrivent. Les gens n’ont plus d’excuse », assène Clara. Les moyens de réagir dans ces situations existent, et ils sont multiples. Les connaître peut sauver des personnes. Et de conclure : « C’est arrivé, ça arrivera encore, la seule question, c’est quand. »
Amjad Allouchi
Édité par Joffray Vasseur
*Le prénom a été modifié