Une levée de fonds, organisée entre 2010 et 2014, a permis à l'université de Strasbourg de récolter 22,5 millions d'euros, donnés par des entreprises et des particuliers. Le montant final de cette collecte a été dévoilé le 11 février.
Pour Alain Beretz, président de l'université de Strasbourg, les dons privés viennent en complément du financement de l'Etat. (Photo Cuej / Gabriel Pornet)
"Ce n'est pas pour justifier une baisse éventuelle de notre budget !" Alain Beretz, président de l'université de Strasbourg (Unistra), répond avant même qu'on lui pose la question. Il se méfie et connaît par cœur les critiques des syndicats. En cinq ans, la levée de fonds organisée par la Fondation de l'université et la Fondation pour la recherche en chimie a permis de collecter 22,5 millions d'euros venant du privé, notamment pour le compte de l'Institut national des sciences appliquées (Insa) et des hôpitaux universitaires. Il s'agit de la première opération de ce type en France depuis la loi sur l'autonomie (LRU) en 2007 et la fusion des trois universités strasbourgeoises en 2009.
90% de l'argent vient des entreprises
Quatre-vingt grands donateurs (don supérieur à 10 000 euros) et 889 donateurs ont contribué à cette opération. "C'est une très bonne chose, poursuit Alain Beretz. D'abord, c'est de l'argent et dans cette période, je pense qu'il est important de diversifier nos sources de financement. Ensuite, ce n'est pas qu'une question de fonds. Cette levée a créé un rapport nouveau avec les donateurs, qu'ils soient des entreprises ou des particuliers. Les gens ont mis des euros chez nous, mais ils ont aussi investi de la confiance. Ce n'est pas dans la tradition française."
Plusieurs projets ont déjà été financés depuis 2010, notamment des doctorats. Plus de 80% des dons viennent des particuliers mais plus de 90% du montant final viennent des entreprises. Logique, puisque les grands donateurs paient plus cher. Le mécène contrôle le "fléchage" mais pas le "récipiendaire". Autrement dit, il peut décider de certains critères (par exemple choisir d'offrir une bourse à un étudiant en pharmacie sur des critères sociaux), mais la sélection de l'étudiant est faite uniquement par l'université. D'autres choisissent de capitaliser : la somme est placée et seuls les intérêts sont utilisés.
Le groupe de presse Amaury fait partie des grands donateurs. "Sur quatre ans, notre participation s'élève à 200 000 euros, explique Marie-Odile Amaury, sa présidente. C'est modeste. Comme toutes les entreprises, nous avons de l'argent réservé aux dons. Nous le dirigeons vers le médical ou la formation des étudiants. A l'université de Strasbourg, il sera distribué sous forme de bourses. Un comité spécial décidera des critères." Les dons ne sont pas spécialement destinés au Centre universitaire d'enseignement du journalisme (Cuej), comme on pourrait le croire. "Là il s'agit du développement de l'université, précise Marie-Odile Amaury. Pour le Cuej, il y a la taxe d'apprentissage que nous payons."
Quelle place pour le privé ?
L'implication du secteur privé dans l'enseignement supérieur fait cependant naître quelques inquiétudes. Nicolas Poulin, ingénieur de recherche à l'université de Strasbourg et correspondant du syndicat Sud Education, ne partage pas l'enthousiasme d'Alain Beretz : "C'est toujours de l'argent donc quelque part, c'est une bonne chose, mais on étrangle les universités pour les inciter à chercher de l'air dans le privé." Il fait référence à la stagnation des dotations de l'Etat aux universités. Cette année, cette dotation n'est toujours pas connue et ne sera pas dévoilée avant fin mars. L'Unistra a préparé son budget sur la base d'estimations.
Alain Beretz se veut rassurant : "Cette levée de fonds représente 4 à 5 millions par an. Notre budget annuel, c'est environ 450 millions d'euros." Pour lui, cette opération ne se substitue pas au financement de l'Etat. "En aucune manière, elle n'est destinée à remplacer une éventuelle conséquence d'économie budgétaire. Je le dis autant au ministère qu'aux syndicats. Les dotations stagnent et les dépensent augmentent. Je crois qu'effectivement, il ne faut pas laisser le budget de l'université baisser."
Mais ce n'est pas la seule inquiétude. Les syndicats s'interrogent sur la compatibilité entre la logique d'entreprise et celle de la recherche. Pour Alain Beretz, rien n'empêche les donateurs d'investir sur le temps long, notamment grâce « aux dons capitalisés ». Nicolas Poulin ne voit pas le problème de la même manière : "On demande aux enseignants de faire de la recherche fondamentale. Ce n'est pas intelligible pour les entreprises privées, qui sont plus intéressées par l'innovation que par la recherche." L'université de Strasbourg se classe au 95e rang sur classement de Shanghaï (troisième université française) et compte trois prix Nobel en activité.
Gabriel Pornet