Cinq ans après la crise qui l’a dévastée, la Lettonie s’apprête à intégrer la zone euro. Mais que vient faire une économie aussi brillante dans cette galère ?
Alors que l’Eurozone peine à sortir de la crise, la Lettonie arbore depuis 2011 une croissance exceptionnelle à plus de 5%. Pourtant dès 2008, elle plongeait la première, et connaissaient l’une des pires récessions de l'Union européenne. Cinq ans plus tard, le pays est déjà libéré de sa dette au Fonds monétaire international, dès décembre 2012 grâce à des emprunts privés à taux avantageux. Son inflation reste forte, mais rentre depuis octobre 2012 dans les clous européens. Dès lors, le pays remplit tous les critères de Maastricht pour adopter la monnaie unique. Il demande aujourd’hui à intégrer la zone euro. La commission européenne prendra sa décision en juillet pour une adhésion dès 2014. A peine sauvée des eaux, pourquoi la Lettonie vient-elle raccrocher une zone euro en pleine turbulence?
Une prime à la rigueur pour le bon élève letton ?
Pris à la gorge dès 2008, les dirigeants lettons ont consenti à des réformes drastiques pour obtenir de l'aide. Cinq ans plus tard, les indicateurs économiques donnent raison à la rigueur. Le gouvernement letton présente le passage à l'euro comme le couronnement de ses réformes. A Bruxelles, la commission européenne peut en faire un exemple à destination des pays du Sud de la zone euro, qui plombent aujourd'hui son économie.
« La façon dont vous avez géré la crise constitue un exemple particulièrement remarquable », se réjouissait le démocrate-chrétien allemand Burkhard Balz, rapporteur sur l'adhésion de la Lettonie à l'euro, le 26 février devant une délégation lettone en visite à Bruxelles. L'agence de notation Fitch parle de l'une « des plus grosses consolidations » qu’elle a observées. Une étude de la Commerzbank louait en août 2012 la discipline fructueuse du petit pays balte : « la réussite de la Lettonie apprend qu'un marché du travail flexible, de meilleures conditions pour les entreprises et un large consensus social pour les réformes jouent un rôle important pour surmonter la crise. Sur ces points, les pays du Sud de l'Union monétaire ont beaucoup à rattraper. » L'étude note cependant que le faible endettement public de la Lettonie avant sa crise lui donnait plus de marge de manœuvre.
Plus de poids pour le pays dans l'UE ?
Le bon élève de la rigueur souhaite désormais présenter lui-même ses leçons pour l'Europe en crise. « C'est le meilleur moment pour que la Lettonie intègre la zone euro en tant que partenaire sérieux et fiable et participe aux discussions sur les réformes importantes et l'avenir », déclarait Ilmars Rimšēvičs, le président de la banque centrale lettonne à Bruxelles. Pour le gouvernement letton, la prudence budgétaire doit se combiner avec des réformes qui stimulent la croissance.
Dans une Europe « à deux vitesses », il souhaite garantir plus de stabilité au pays. « En 2008 et 2009, la Lettonie a été punie car elle se dressait seule face aux attaques spéculatives sur sa monnaie... Si nous avions été à bord d'un plus grand bateau, nous aurions plus facilement essuyé la tempête », a confié Ilmārs Rimšēvičs.
Un renfort à la crédibilité de la zone Euro ?
Cette candidature vient en aide à une Europe affaiblie. Les Etats membres de l'UE se débattent avec la crise et les plans de sauvetage. La nouvelle demande d'adhésion à l’euro renforce la crédibilité d'une monnaie que beaucoup pensaient à l’agonie. Elle défend aussi l'euro auprès des riches nordiques qui le refusent plus que jamais : la Suède, la Norvège, et le Danemark. Et c'est un signal fort à la Pologne, qui reste sur la réserve.
Les Lettons vont abandonner leur monnaie nationale, le Lats, au 1er janvier 2014. Ils craignent que l'euro fasse grimper les prix.
Une chance pour l'économie ?
La Lettonie utilise déjà massivement la devise dans ses échanges avec l’UE. Pour les dirigeants lettons, l’adhésion à la zone euro rendra le pays plus attractif pour ses partenaires européens et sécurisera leurs investissements. A la frontière extérieure de l'UE, la Lettonie offre une tête de pont vers le marché russe. Elle garantit aux entrepreneurs européens « des conditions fiscales formidables et un personnel local très qualifié », ajoute Kerstin Liesering, de la chambre de commerce germano-balte à Riga. « Le passage à l’euro lui donnera un avantage compétitif par rapport à ses voisins qui utilisent une monnaie nationale, sans désavantager les échanges avec ces pays ».
Plus d'indépendance pour la Lettonie ?
Pour rebondir dans la crise, la Lettonie s’est surtout appuyée sur ses échanges de proximité. Suède, Lituanie, Pologne, Islande et Russie… Son commerce extérieur dépend encore énormément de ses voisins. La Lettonie espère que son entrée dans l’euro atténuera leur influence. Et sécurisera les investissements des pays de la zone euro, déjà très engagés dans le pays, pour contrebalancer la présence des Russes.
Un soutien populaire en Lettonie ?
Seul un tiers des deux millions de Lettons seraient aujourd’hui favorables à l’adoption de l’euro. L'opposition réclamait un nouveau référendum sur la question. Mais pour le gouvernement, les Lettons ont plébiscité le passage à l’euro en 2003, quand ils ont approuvé l'entrée dans l'UE. Il minimise leur défiance et assure que sa campagne de communication les convaincra d’ici la fin de l’année.
Les Lettons continuent de payer cher le redressement du pays. Coupes dans la santé et l’éducation, baisse des salaires et des retraites, débauchage des fonctionnaires… Ils ont subi en silence les mesures d’assainissement et ont même reconduit la coalition en 2011. Mais 100 000 d’entre eux se sont expatriés depuis 2008, surtout les jeunes diplômés. Malgré ces départs, le chômage est encore de 13 % aujourd’hui, contre 20 % au plus fort de la crise. Fragilisés, ils craignent de rejoindre une économie européenne à la dérive et que le passage à l'euro fasse augmenter encore les prix.
Claire Gandanger