Ces images du 1er régiment de chasseurs parachutistes, celui auquel appartenait le caporal Cédric Charrenton, troisième soldat français tué au Mali, n'ont pas été prises par une équipe de télévision. Mais par les services de l'Armée de terre française. Pourtant, elles ont fait l'ouverture du 20h de France 2 d'hier. Diffusées également sur la page facebook de l'Armée, elles font partie des rares images montrant des combats.
Depuis le commencement de l'opération Serval, le 11 janvier dernier, de telles vidéos sont distribuées au compte gouttes par l'armée française. Celle-ci verrouille l'accès aux zones de combats aux journalistes. Pour garantir leur sécurité et celle des opérations, affirme-t-elle. Par souci de communication, répondent les journalistes qui dès le début se sont plaints de ce traitement.
La pratique n'est pas nouvelle. Elle remonte à la première guerre du Golfe et ses pools de journalistes pour qui l'on organisait des excursions : entraînements, interviews de chefs de détachements voire de soldats. Des conditions à des années lumières de la maxime du photographe de guerre Robert Capa : « si tes photos ne sont pas bonnes, c'est que tu n'étais pas assez près ».
Désormais pour se rapprocher raisonnablement de l'action il faut être « embedded » et accepter de ne sortir qu'encadrés et protégés par des troupes françaises. Et de ne voir que ce qu'elles ont décidé de montrer.
Guerre propre
Car la guerre moderne est devenue une affaire de communication. « Il y a une volonté de l'armée de donner l'image d'une guerre propre, et de ne pas afficher de morts ou les conséquences des combats », regrette Dominique Derda, grand reporter à France 2 qui avait couvert la première guerre du Golfe. Par contre, personne n'a empêché les caméras de télé de filmer l'accueil enthousiaste des populations, l'arrivée et le déplacement des troupes françaises et bien sûr la visite de François Hollande au Mali.
Un pis aller, après une première phase particulièrement intense : bombardements, libération des villes occupées par les islamistes, exactions et vengeance présumées des soldats maliens. Sans oublier ce qui est le propre de la guerre : les morts. Trois depuis samedi pour la France, au moins 37 pour les forces africaines et plusieurs centaines pour leurs ennemis.
La guerre au Mali une guerre sans images ? Un constat que nuancent certains. « Ce n'est pas une guerre sans images c'est une guerre avec peu d'images qui ne montrent pas la guerre, ajoute Dominique Derda. On ne sait rien de ce qui se passe là-bas ».
Lorsque l'armée autorise les journalistes à accéder à une zone, c'est souvent plusieurs jours après la fin des combats. « Kidal a été libérée à la fin du mois de janvier, précise Dominique Derda, les journalistes n'ont pu y entrer que 10 jours après ». L'état-major, basé à Gao au Mali, bloque la progression des journaliste au delà de cette ville. A tour de rôle, elle permet notamment aux chaînes télé d'aller au delà de cette zone.
« Dans un conflit impliquant deux armées conventionnelles, le traitement est plus aisé, raconte Bernard Lebrun reporter à France 2. En Irak on savait à qui l'on avait à faire. Là nous sommes dans un conflit asymétrique où les islamistes ne sont pas des interlocuteurs identifiables et ne communiquent pas. »
Une situation qui exaspère les journaliste, à tel point que « Reporters sans frontières » en tête s'est fendu d'un communiqué exhortant l'armée à laisser travailler les journalistes : « En période de conflit, c’est aux journalistes et à leurs médias, et non aux militaires, de déterminer les risques qu’ils sont prêts à prendre dans la collecte de l’information ».
Plus grande prudence des rédactions
Si la volonté d'être au plus proche des événements est toujours présentes, les journalistes restent lucides sur leur capacité à gérer une situation de combat. « Je ne suis pas certains que tous les journalistes soient capables de sauter en parachute avec les forces spéciales, commente Dominique Derda, tout ce que l'on demande c'est de rendre compte de façon réaliste de ce qui se passe sur le terrain ».
Car à France Télévisions, les précédents conflits ont laissé des traces chez les responsables de rédactions. Personne n'a oublié Gilles Jacquier, journaliste reporter d'images de France 2, tué en Syrie l'an dernier, ni les 547 jours qu'ont passés Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier en Afghanistan. « Je suppose que les chefs de certaines rédactions sont moins véhéments que leurs reporters et qu'après tout, un plateau d'un journaliste en gilet pare-balles, puisque tout le monde est dans la même situation, c'est mieux que rien », déclare Dominique Derda.
En 1991, Jean Baudrillard disait que la « Guerre du Golfe n'a pas eu lieu ». Il assenait alors un constat particulièrement frappant : celui de la non-visibilité d'un conflit important dans un contexte pourtant dénué des contraintes et censures des régimes totalitaires. Vingt deux ans plus tard, la sentence est toujours d'actualité.
Thibaut Cordenier