Carton plein pour le pôle illustration de la célèbre école d'art, qui revient du Festival de la BD d'Angoulême avec trois prix. Des étudiants nous ouvrent les portes
Il dessine dans les pas de Marjane Satrapi, Blutch, Lisa Mandel et Mathieu Sapin. Comme eux avant, Eugène Riousse étudie au célèbre pôle illustration des Arts Déco. Et vient de remporter le prix Jeunes Talents au Festival de la bande dessinée d'Angoulême. La deuxième et la troisième place reviennent aussi à l'école strasbourgeoise.
D'où vient le succès de cette section, considérée comme l'une des meilleures de France ? Le directeur de la formation Guillaume Dégé répond d'un mot : « la liberté ». Avant d'ajouter : « Mais aussi une grande exigence envers ses idées, car la liberté est une arme, on doit l'utiliser avec intelligence. » Cette formation, créée en 1972, met en avant l'image narrative – ou comment une image peut se passer de mots. « L'école mise sur le travail d'auteur, et on forme les étudiants à se mettre au service d'une démarche, d'une oeuvre », détaille Stanislas Martin-Finzo, l'un des enseignants. « On voit naître des styles graphiques singuliers, poursuit-il, et on constate des progrès inattendus. Des étudiants parviennent à tirer parti de leurs défauts pour se créer un style. »
De jeunes dessinateurs du département illustration croisés dans le bâtiment de la rue de l'Académie acquiescent. Nicolas remarque que « les cours imposent des contraintes narratives tout en respectant le style de chacun ». Certains évoquent une ambiance « peu scolaire », et des cours « sur le ton de la rigolade ». Mais peu importe, « ce qui est intéressant, rappelle Susy, c'est la réflexion sur les sujets ».
Ici, les professeurs ne corrigent pas le travail de l'étudiant, mais lui rappellent le chemin qu'il a choisi de prendre. « Il y a dix ans encore, beaucoup d'étudiants dessinaient de façon réaliste, remarque Stanislas Martin-Finzo. C'est de moins en moins le cas. » Pour cet enseignant, pas question de créer un « effet d'école », qui se traduirait par une uniformité des styles à la sortie de la formation. Afin que chaque dessinateur qui sort d'ici ne ressemble à aucun autre.
Nous voici dans un vaste atelier meublé de deux canapés et de grandes tables, l'antre d'Eugène et des autres étudiants de cinquième année. Amélie est penchée sur ses ébauches au feutre de dessins pour enfants, son projet de fin d'année. Son passage aux Arts Déco restera marqué par les ateliers libres proposés par l'école : gravure, numérique, photo, vidéo, sérigraphie... « Pouvoir se balader partout, ça enrichit notre travail. »
« Nous créer un monde »
Autre force la section illustration : le travail en groupe, à travers la réalisation de fanzines. « Les étudiants sont confrontés à la publication, qui permet de gagner en humilité », explique Guillaume Dégé. « Il y a une véritable émulation, ça nous permet de progresser », assure un étudiant. « On travaille ici, dans l'atelier, et les potes sont vraiment importants, explique François. On fait pas mal de projets en groupe, et ça motive vraiment ». Palette à la main, il se concentre sur sa peinture de femme au piano. Une camarade s'interroge en passant : « Elle n'est pas trop courte la jambe ? - Ah peut-être, mais c'est le piano qui est important. C'est un portrait de piano ! »
Ici, l'inventivité est défendue. Le directeur de la formation est clair : « Nous ne favorisons pas une mode commerciale. » Pour lui, « le fait de bien savoir dessiner n'est pas un impératif, et le goût du jour n'a pas grand sens ». A ses yeux, les prix comme ceux décrochés à Angoulême permettent de valoriser le travail des étudiants, mais ne doivent pas être l'objectif principal, car cela peut se faire au détriment de la liberté artistique, avec le risque d'entrer dans des cases. « Il y a une grande liberté d'expérimentation », confirme Eugène, le lauréat d'Angoulême. « On nous apprend à être des auteurs et non des exécutants. » Pour lui, le pôle illustration des Arts Déco mêle « exigence sur la qualité des projets et grande liberté graphique ». L'objectif n'est pas de répondre à une commande, mais de mener son projet de bout en bout. « Le but, c'est de nous créer un monde. »
Clément Lacaton