En Alsace, une association d'anciens déportés et résistants veut recenser les résistants à l'Allemagne nazie. Enfant, Hubert France s'est « battu avec des nazillons ». Pour cela, et pour son refus de parler allemand, il est interné dans un camp du Troisième Reich. Aujourd'hui, son histoire passe à l'arrière plan, dans une région où la mémoire se focalise sur les Malgré-Nous.
Il est l'un des derniers à pouvoir raconter l'histoire oubliée des résistants internés d'Alsace-Moselle. Pour Hubert France, 86 ans, « c'est maintenant ou jamais ». Une petite fraction de Patriotes résistants à l'Occupation s'attèle à recenser ces internés de la guerre.
La bibliothèque de son bureau exigu est remplie de livres sur les déportés, sur la Seconde Guerre mondiale. Hubert France en a d'ailleurs écrit quelques uns. Ce grand homme, les yeux bleu clair plissés par l'âge, se penche pour en attraper ses mémoires, Histoire d'une famille déportée et incarcérée en camps spéciaux.
D'une voix grave et posée, il raconte pour la centième fois son père, instituteur français à Uckange, en Moselle. Un instituteur qui refuse de scander « Heil Hitler ! » avant de commencer ses cours. Un père qui refuse de raser son bouc tant que les Nazis seront là.
Béret français
Hubert France a alors 15 ans et un béret bien français vissé sur le crâne. Et pour rien au monde il n'incorporera les jeunesses hitlériennes. Il se bat avec les adolescents « nazillons » de son village quand ils se moquent de son résistant de père.
A la mi-janvier 1943, ses parents et leurs cinq enfants sont « raflés » par les SS, comme des milliers d'autres en Moselle. Hubert France et sa famille passent 28 mois en camp d'internement, à Striegau, dans la Silésie alors allemande. Dans ces « camps spéciaux » du Troisième Reich, les nazis veulent rééduquer les résistants, et non les exterminer.
Hubert France (en haut à gauche) a vécu avec sa famille dans cette unique pièce pendant deux ans. Sa soeur a pu garder un appareil photo pendant tout ce temps. Crédit : Hubert France
Ils seront parqués dans une ancienne école, aux salles de classe transformées en dortoirs. « La calamité, c'était la vermine. Les poux, les punaises … » Sa famille reste ensemble à Striegau. « Régulièrement, les SS nous demandaient de signer un papier, une reconnaissance de notre appartenance au peuple allemand. »
Jusqu'à 72 personnes vivaient dans un dortoir au Lager 122 à Striegau. Crédit : Hubert France
Au retour de la guerre, Hubert France a 18 ans et reprend ses études de théologie dans la foulée. « Trop vite. J'ai passé 30 mois en sanatorium, ensuite. » Le temps de se remettre de ces deux ans et demi d'enfermement.
Une amnésie sélective
Aujourd'hui, l'histoire de ces familles qui ont résisté sans armes reste méconnue en Alsace-Moselle. Les associations d'anciens déportés, comme la Fédération nationale des déportés, internés résistants et patriotes, le reconnaissent. Derrière cette amnésie sélective, il y a une question de chiffres. Ils étaient 130 000 Malgré-Nous, pour 15 000 patriotes résistants. Pour l'instant, la Fédération nationale des déportés, internés résistants et patriotes a retrouvé des données sur 4 000 d'entre eux.
Hubert France ne garde aucune rancoeur envers ceux sur lesquels se focalise la mémoire de la région. « J'en veux surtout au gouvernement français de Vichy. Pas aux Malgré-Nous. » Il comprend ceux qu'on a forcé à enfiler l'uniforme ennemi. « Tout le monde n'est pas suicidaire. Je ne savais pas jusqu'où allait m'amener mon refus de la germanisation nazie. » Son beau-frère a dû combattre pour l'Allemagne nazie. « Il m'a dit : " Tu sais, je ne voulais pas mettre en danger mes sœurs et ma mère". »
Au Mémorial d'Alsace-Moselle de Schirmeck, un unique petit panneau mentionne les patriotes résistants. Pourtant, au moment de la création de ce centre de mémoire, des documents historiques ont été transmis à son administration. Ils n'ont jamais été utilisés.
Pauline Hofmann