Bilinguisme progressif contre bilinguisme paritaire, en Alsace, le débat date des années 1990. Aujourd'hui, c'est le système paritaire qui vaut pour 3600 collégiens et 11% des élèves du premier degré public et privé dans la région. Ils suivent douze heures d'enseignement en allemand par semaine, soit exactement la moitié des cours.
Depuis septembre, deux écoles, à Soufflenheim et à Colmar, expérimentent le bilinguisme "progressif, à raison de huit heures d'allemand par semaine. L'enseignant travaille dans les deux langues et les matières sont ciblées. Seuls le sport, l'art et les mathématiques, des matières réputées comme plus propices à la communication, sont enseignées en allemand.
De quoi mécontenter certains parents d'élèves et des associations de protection de la culture régionale*. Ces associations ont lancé une pétition en ligne demandant le départ de la recteure de Strasbourg. Elles accusent ce bilinguisme progressif d'être la copie d'un système mis en place avant le bilinguisme paritaire. Entre 1991 et 1997, 1 800 élèves de la maternelle et du primaire ont suivi six heures de cours en allemand par semaine, avant que le bilinguisme paritaire ne s'impose.
Les assocations mobilisées reprochent à la recteure Armande Le Pellec Muller d'expérimenter un système qui a échoué. Pas tant que ça, modère Dominique Huck. Ce professeur de sociolinguistique de l'université de Strasbourg était alors chercheur à l'Institut universitaire de formation des maîtres. Il a mené plusieurs études à ce sujet.
Cuej Info (CI) : Dans quel contexte avez-vous réalisé les évaluations du système des six heures ?
Dominique Huck (DH) : Un an après la mise en place de ces sites, le recteur de l'époque à l'académie de Strasbourg m'a demandé ces évaluations. Ma situation en tant que chercheur n'était pas très confortable, puisque je devais à la fois donner un avis sur ce qui était souhaitable et sur ce qui était faisable. Ils voulaient un avis d'expert, alors que j'étais surtout chercheur. La commande était rapide, il a fallu faire vite.
CI : Avez-vous pu constater qu'une réduction des heures d'allemand affectait le niveau des élèves dans cette langue ?
DH : Oui et non. Dans une de mes études sur la compréhension, j'ai eu des résultats surprenants. J'ai comparé le niveau de compréhension entre des élèves de classe bilingue paritaire et des élèves de ce qu'on appelle les sites à 6 heures. Certaines classes sur des sites à 6 heures avaient des résultats supérieurs à ceux des classes bilingues paritaires.
J'ai pu remarquer que ces classes au niveau de compréhension élevé étaient surtout des classes où l'enseignant s'était porté volontaire pour faire ces six heures en allemand. Dans les classes où le système avait été plus ou moins imposé, les résultats n'étaient pas bons. Les enseignants n'aiment pas entendre cela, mais dans ces cas là, c'est malheureusement souvent la motivation qui joue.
Il faut également savoir que contrairement aux élèves des premières classes bilingue paritaire, beaucoup d'élèves dans les sites à six heures étaient locuteurs passifs en alsacien. Ils ne parlaient donc pas forcément l'allemand et l'alsacien, mais avaient déjà des bonnes bases en compréhension.
DH : En revanche, en ce qui concerne la production en allemand, j'ai pu constater un écart important. Dans les classes bilingues paritaires à 12 heures, le niveau parlé et écrit était nettement supérieur à celui des sites à 6 heures.
La recteure de l'académie de Strasbourg Armande Le Pellec Müller s'exprimera mardi à 11 heures sur la pétition.
Charlotte Stiévenard
*A l'origine de la pétition, il y a le comité fédéral des associations pour la langue et la culture régionales en Alsace et en Moselle, l'association des élus d’Alsace pour la promotion de la langue et de la culture alsaciennes et l'association de parents d'élèves d'Alsace (Eltern).