Voskan Danielyan a passé trois jours en Arménie, à la frontière azerbaïdjanaise, où des milliers de réfugiés affluent depuis dix jours.
Voskan Danielyan revient de cinq jours en Arménie, dont trois à la frontière. PHOTO : Zoé Dert-Chopin
« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? », se demande Voskan Danielyan avec un ami, tout juste sorti de l’avion. Ce 23 septembre, il est 22 heures à Erevan. Les deux compères ont un objectif en tête : atteindre Goris, la dernière localité avant la frontière qui sépare l’Arménie du Haut-Karabakh. Depuis la reddition de la république autonome arménienne le 20 septembre, des milliers de réfugiés affluent, fuyant l’enclave désormais aux mains de l’armée azerbaïdjanaise. Jeudi 28 septembre, sa dissolution a été officiellement annoncée.
« On a fait des courses de première nécessité, on a acheté de quoi subvenir aux besoins de 35-40 personnes », raconte aujourd’hui l’homme à la carrure imposante, accoudé à la table d’une brasserie strasbourgeoise. « Un ami sur place nous a ensuite emmenés à Goris. Nous y sommes arrivés à une heure du matin. » Pour y parvenir, ils ont dû emprunter une route dangereuse, revendiquée par l’Azerbaïdjan bien qu’étant sur le territoire souverain arménien. « On pensait que notre dernière heure allait arriver », se remémore le trentenaire à l’œil vif. Mais l’appel de la solidarité est plus fort. « Dieu m’a donné des mains, des jambes. C’est pour en faire quelque chose », soutient le fervent chrétien et également champion de street workout, un sport mélangeant gymnastique et musculation.
« C’était irréel, on revivait 1915 »
Arrivés à Goris, Voskan Danielyan et ses amis sont abasourdis. « C’était irréel, on revivait 1915 », dit-il en faisant référence au génocide dont son peuple a été victime. « La Croix rouge courait de partout. » Après s’être signalé auprès des autorités locales, le groupe est redirigé vers un gymnase, où des femmes et des enfants se reposent. « Le soldat qui montait la garde s’est effondré en larmes devant moi », se rappelle Voskan Danielyan, ému.
En Arménie, Voskan Danielyan et son ami ont acheté des biens de première nécessité pour les réfugiés qui en ont le plus besoin. PHOTO : Voskan Danielyan
Partir en Arménie pour venir en aide aux victimes sonnait comme une évidence. Né en 1993 dans une localité située à 130 kilomètres d’Erevan, il avait à peine dix ans quand sa famille a fui les hostilités dans la région et est arrivée en France. « On a vécu la guerre. Mon père risquait d’être enrôlé dans l’armée et voulait un avenir meilleur pour nous. » Il a caché ce dernier périple à ses parents : « Je ne voulais pas les inquiéter, j’ai dit que je prenais des vacances en Espagne. »
Sur fond de tirs d’artillerie et du tumulte des chars, l’Alsacien rencontre des militaires à la fois déterminés et traumatisés. « Nous sommes allés dans les tranchées où les soldats sont positionnés. Tous m’ont dit “On est prêts à partir pour nos terres“. J’en pleurais de les voir chanter, danser. Et en même temps, il n’y avait pas de tranquillité sur leur visage. »
Privilégier l’action plutôt que l’attente
Voskan Danielyan a aujourd’hui le sentiment que les discussions diplomatiques tournent en rond et que le gouvernement arménien abandonne le Haut-Karabakh. « Nous avions beaucoup d’espoir quand il est arrivé au pouvoir [en 2018]», se rappelle-t-il à propos du Premier ministre arménien. « Mais contre toute attente, au bout des quarante-quatre jours de guerre en 2020, Nikol Pachinian a retiré les 25 000 hommes sur le front du Haut-Karabakh », se mord les doigts Voskan Danielyan. Une décision vécue comme une immense trahison.
« Il aurait pu ne pas y aller, témoigne admiratif son cousin Youri Avanyan, 21 ans. Comme lui, la diaspora arménienne doit se bouger. On n’a plus le temps de dialoguer. » Le sportif de haut niveau, revenu le 27 septembre à Strasbourg, veut désormais profiter de sa notoriété au sein de la diaspora locale pour rassembler des fonds. Il a monté une cagnotte en ligne pour l’occasion. Il espère retourner en Arménie dans dix jours pour contribuer, encore une fois, à l’aide humanitaire.
Zoé Dert-Chopin
Édité par Clara Grouzis