A Wolxheim (Bas-Rhin), les vendanges touchent à leur fin. En arpentant les vignes, on remarque immédiatement celles de Bruno Schloegel, qui se mélangent aux ronces et aux herbes folles. Depuis 2001, il cultive “la vigne libre”, une méthode des plus respectueuses de la biodiversité.
Bruno Schloegel a repris l'exploitation viticole de son oncle en 2001. © Eva Moysan
Des maisons jaunes, vertes, bleues à collombages et aux balcons recouverts de fleurs, voilà à quoi ressemble le petit village de Wolxheim, en bordure duquel les vignes s’étendent à perte de vue. Et si l’on s’enfonce sur les chemins, on remarque très vite des vignes singulières, aux couleurs dorées, comme laissées en friche. Elles appartiennent à Bruno Schloegel, un vigneron Wolxheimois de 62 ans. “Chez nous, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise année.” Pour lui, cultiver la vigne relève plus de la philosophie que de la technique. Il faut dire que sa manière de travailler et de produire est singulière. Bruno Schloegel a décidé de rompre avec les méthodes traditionnelles et de cultiver “des vignes libres”. Son idée : s’affranchir des engrais et tracteurs et laisser agir la biodiversité.
©Alix Woesteland
“Il a fallu entre huit et douze ans pour rétablir la faune et la flore initiales et rendre la vigne 100% autonome.” Bruno Schloegel a 43 ans quand il reprend l’exploitation de son oncle, en 2001. “J’avais décidé de commencer une nouvelle vie après la quarantaine”, raconte t-il. Il démissionne alors de son poste de gérant dans un centre de gestion agricole et viticole à Colmar. Ingénieur agronome de formation, avec une spécialité en sociologie rurale, il explique qu’il cherchait une part d’expérience extérieure avant de se lancer dans la viticulture. “Je veux être un scientifique tout terrain, travailler en plein air”, sourit-il, presque timide derrière son regard bleu fuyant.
Maintenir le lien avec le terroir
Et si les vignes de Bruno Schloegel semblent presque laissées à l’abandon, surveillées uniquement par l’énorme statue dorée de Jésus qui surplombe la vallée, cette façon de cultiver est en fait le fruit de plus de 40 ans de réflexion sur l’impact de l’Homme sur son milieu. Le vigneron a choisi de faire vivre tout un écosystème entre ses arpents. Ainsi, au milieu des allées poussent des ronces, des orchidées et de la consoude. Et les branches des vignes se promènent dans tous les sens. “Cette biodiversité garde le sol frais et humide et crée un engrais naturel pour les vignes”, décrit Bruno Schloegel.
« Ce qu’on recherche, c’est le lien au terroir. Chaque vin est un accord entre des saveurs et des textures, qui viennent des spécificités du sol où les raisins ont poussé. » Dans le village de Wolxheim, six équilibres de faune et flore distincts permettent au vigneron de mettre en bouteille environ 25 vins différents par an. Riesling, pinot gris, gewurztraminer, sylvaner, crémant ou pinot noir, Bruno Schloegel jongle entre les cépages. En bon Alsacien, il produit principalement du vin blanc, les deux tiers de ses bouteilles.
Sa façon de cultiver lui permet aussi de limiter ses passages en tracteur à trois ou quatre par an, contre une trentaine pour les viticulteurs traditionnels. Une économie de temps et de carburant. Alors pourquoi tous les vignerons n’adoptent pas la méthode de Bruno Schloegel ? « Parce qu’on a un rendement trois à quatre fois inférieur », répond t-il, un sourire au coin des lèvres. Et parce qu’il faut aussi du courage pour se lancer dans cette culture innovante. Il est le seul dans le village à travailler de cette façon. Et si avec le temps les gens du village « ont pigé », il doit se battre pour garder ses appellations. « On me reproche de faire du vin différent, qui ne respecte pas le cahier des charges établi par les vignerons. Mes vignes poussent ici, je ne rajoute rien dans mes vins, alors je ne vois pas pourquoi je n’aurais pas le droit de dire que c’est un vin d’Alsace ! », s’emporte le sexagénaire.
Singularités vigneronnes
C’est qu’il applique le « laisser faire » jusque dans ses caves, ce qui ne correspond pas aux méthodes traditionnelles. Son vin n’est ni filtré ni sulfité et fermente naturellement dans les cuves et tonneaux. « Ca donne des vins très particuliers, souvent peu sucrés et avec des arômes poivrés et épicés. Mais dès qu’on a des pratiques différentes, ça brusque les gens », regrette Bruno Schloegel. Il faut dire que la fabrication de vin Alsacien est très surveillée. Si le produit fini ne correspond pas aux critères de goûts et de couleurs censés définir tel ou tel type de vin, celui-ci ne pourra pas être catalogué comme « vin d’Alsace » mais deviendra un « vin de France ». Une étiquette qui sonne comme un échec pour la plupart des vignerons, et particulièrement pour Bruno Schloegel qui a choisi de cultiver toutes ses vignes à Wolxheim par amour pour son village natal.
D’un autre côté, les singularités du vin Bruno Schloegel lui valent également une reconnaissance internationale. Il travaille régulièrement avec des clients japonais et chinois. De quoi faire grimper son empreinte carbone, après toute une vie à tenter de la réduire au minimum.
Eva Moysan et Alix Woesteland
Domaine Lissner - Vins d'Alsace libres, sauvages et bio
16 Rue de Strasbourg, 67120 Wolxheim
Bouteilles de 6,70 € à 38,60 €