Le forum européen de bioéthique a organisé hier un débat sur la reproduction et le transhumanisme salle de l'Aubette. L'occasion de dresser des pistes de réflexion sur l'avenir, plus ou moins proche, de l'homme amélioré par les nouvelles technologies. Ce qui n'est pas sans susciter quelques réserves.
« Nous sommes tous des transhumanistes », lance Israël Nisand, fondateur du forum européen de bioéthique, à un auditoire interloqué. La salle de l'Aubette est quasiment pleine, pour la conférence « Les transhumanistes et la reproduction » qui se tient le jeudi 1er février. En quelques mots, le professeur de médecine vient de transformer les murmures impatients en un silence de cathédrale.
Transhumanisme. Le mot fait peur autant qu'il fascine. Littéralement, il signifie « transcender la condition humaine ». Il désigne un courant qui promeut l'utilisation des découvertes scientifiques et techniques pour améliorer les performances humaines. En filigrane : l'idée que l'avancée des sciences et des technologies pourrait délester la vie humaine de la vieillesse, la maladie et la mort.
Israël Nisand, par ailleurs chef du pôle gynéco-obstétrique de Strasbourg, poursuit son introduction en citant les vaccins, technologie ayant déjà amélioré les conditions de vie humaine. Le transhumanisme ? Finalement un mot nouveau pour un vieux désir. Ce qui a changé, c'est l'ensemble des outils qui permettent aujourd'hui de créer ou de modifier l'humain.
Utérus artificiel: libération des femmes ou arme du patriarcat ?
Dès le début de la conférence, Marc Roux, président de l'Association française de transhumanisme, évoque la condition des femmes, seules capables de donner la vie aujourd'hui. Et parce qu'elles sont dotées d'un utérus, elles ont longtemps été assignées et réduites à leur rôle de mère. « Les nouveaux modes d'engendrement pourraient permettre de détruire ce schéma », explique t-il.
Peggy Sastre abonde. L'auteure et journaliste scientifique parle de l’ectogenèse, à savoir la naissance d'un être humain grâce à un utérus artificiel. Pour elle, une telle technologie pourrait libérer les femmes de la pression de l'horloge biologique, leur permettre de concilier carrière et maternité. Au-delà de ça, l’utérus artificiel mettrait père et mère à égalité pendant la grossesse. Haussements de sourcils dans la salle. Elle poursuit : « On ne tire pas assez d'enseignements du passé. On nous a promis l'apocalypse à chaque étape de la libération du corps des femmes, avec la pilule, l'avortement, la PMA... Mais on voit que l'impact de la contraception sur le mode de vie n'est pas révolutionnaire. Elle multiplie simplement les tracés de vie disponibles pour les femmes », avant d'ajouter « finalement, ce qui sépare l'impensable du toléré, c'est la frontière de la faisabilité ». Autrement dit, la technologie prime, la morale s'adapte.
A l'heure où la parole se libère sur les violences obstétricales, et où les inégalités hommes-femmes sont mises en lumière, le recours à un utérus artificiel pourrait apparaître comme une option intéressante. Mais Cécilia Calhéiros, sociologue à l'Ecole des hautes études en santé sociale, tempère les espoirs que pourrait faire naitre cette technologie.
D’abord, l'utérus artificiel est encore de l'ordre de la science-fiction aujourd'hui. « Ce qui est intéressant en revanche, c'est le désir auquel il répond, explique t-elle. Ce n'est pas vraiment une demande sociale à l'heure actuelle, mais il pourrait être en effet une alternative à une grossesse biologique, permettre l'ouverture de la parentalité à tous, et déconnecter la filiation de la biologie ». Quitte à créer des tensions. « L'utérus artificiel suscite la promesse d'une autonomisation de la gestation », poursuit-elle. Reste à savoir s'il s'agit de brancher l'utérus artificiel dans le salon comme l'électroménager dans la cuisine ou s'il faudra retirer son bébé fini, en pouponnière, comme un colis.
Mais cette gestation sans les femmes est à double tranchant pour la chercheuse. « Elle peut aussi être vue comme une soumission au monde biomédical. La grossesse peut être perçue comme une source de pouvoir pour les femmes, et l'utérus artificiel comme le paroxysme de la technicisation de la grossesse, dont les outils sont souvent aux mains des hommes. » L’ectogenèse, « contrôle accru sur le corps », pourrait donc se retourner contre les femmes, être « l'arme ultime du patriarcat », craint la sociologue.
Vers deux humanités ?
Au delà de la condition féminine, le transhumanisme, présenté comme un choix individuel, n'en est pas moins dénué d'impact social. Peggy Sastre y voit un « moment historique » de lutte entre une idéologie libérale contre une autre idéologie, collectiviste. « Nous défendons l'idée d'une bioéthique minimale », lance-t-elle avant d'expliquer que certains pays, ne se posent pas les mêmes limites qu'en Europe. La Chine commence à toucher aux lignées germinales, c'est-à-dire les cellules transmises par une personne à sa descendance.
Des positions qui font réagir la salle. En réponse à une femme qui lui demande si les transhumanistes ont prédéfini un modèle de surhomme vers lequel ils souhaitent s’orienter, elle se veut rassurante. « Ce n’est pas de l’eugénisme », martèle Marc Roux. Mais ces interventions ne calment pas tous les spectateurs. « Ils sont complètement fous, ils ne savent même pas où ils vont !”, s’agace tout bas une dame dans le public.
Le professeur Israël Nisand imagine des êtres génétiquement modifiés qui seraient plus grands de 50 cm et dormiraient deux fois moins. « Est ce que cela ne créerait pas deux espèces humaines ? », s’inquiète t-il, touchant là à ce qui est sans doute le noeud du problème : Peut-on trafiquer son corps dans son coin en ignorant l'impact global d'une telle décision?
Marc Roux minimise : « On ne peut pas faire l'économie de penser les conséquences légales de tout cela en amont. Mais tant que toutes les personnes restent égales en droit et en dignité, les différences n'ont pas d'importance ». Un peu léger, à l’heure où l’accès aux technologies est déjà un facteur aggravant d'inégalités. Et si certaines des techniques et outils évoqués demeurent des fantasmes, les questions soulevées sont, elles, bien réelles.
Vidéo et texte : Anne MELLIER
Photos : Geralt et Jackmac34 (PIXABAY)