De 15 à 25 millions de pauvres en plus en Europe, d'ici à 2025, si les politiques d'austérité venaient à perdurer : le constat dressé par Oxfam est alarmant. L'ONG dédiée à la lutte contre la pauvreté publie aujourd'hui un rapport intitulé « Une Europe au service de la majorité, et non d'une élite », consacré aux inégalités et à l'exclusion sociale en Europe. Un véritable brûlot contre la rigueur et un plaidoyer en faveur d'une meilleure redistribution des richesses. Ce document intervient à point nommé : dans deux semaines, 193 pays se retrouveront à New York pour présenter l'agenda 2030 pour le développement durable. La lutte contre la pauvreté y sera au cœur des débats.
Selon l'organisation, 7,5 millions de personnes sont tombées en « situation de privation aigüe » entre 2009 et 2013. Cette « situation de privation aigüe » signifie, pour Oxfam, que ne peuvent plus être satisfaits au moins quatre parmi neuf besoins fondamentaux (pourvoir à des dépenses imprévues, prendre une semaine de vacances par an hors du domicile, se chauffer correctement...). Au total, 123 millions d'Européens se trouvent dans une situation potentielle de pauvreté et d'exclusion sociale. Dans le même temps, l'ONG note que le nombre de milliardaires est passé de 99 à 342 au sein de l'Union européenne.
En cause, un système de répartition économique défaillant : selon les chiffres du Crédit suisse repris par Oxfam, les 1% de personnes les plus riches en Europe (y compris hors UE) concentrent près du tiers des richesses, alors que les 40% les plus désargentés doivent se contenter de moins de 1%.
Les pauvres, premières victimes de la rigueur
Selon Oxfam, à cause de la baisse des dépenses publiques, des privatisations des services publics et des dérégulations des marché du travail, les pauvres sont les premières victimes des politiques d'austérité de ces dernières années. La raison d'un tel déséquilibre : un système démocratique inégalitaire dans lequel les « particuliers, entreprises et groupes d'intérêt fortunés ont la mainmise sur les décisions politiques ».
Le rapport constitue également un véritable plaidoyer pour une plus grande justice sociale, contre l'austérité, l'évasion et le dumping fiscal. L'organisation liste une série de recommandations adressées aux acteurs des politiques publiques européennes : renforcer la démocratie institutionnelle, réinvestir dans les services publics, ou encore garantir un travail et des salaires décents.
Ce n'est pas la première production de ce type de la part de l'ONG qui, en 2013 déjà, avait publié un rapport sur l'impact néfaste de la rigueur sur les populations les plus vulnérables : « Jusqu'alors, de manière générale, on s'intéressait aux inégalités sans parler des facteurs. Au fur et à mesure, nous avons de plus en plus travaillé sur ces questions de justice fiscale », explique Manon Aubry, responsable justice fiscale et inégalités à Oxfam France, interrogée par CUEJ.info. Un travail qui commence à porter ses fruits : « On n'a jamais autant parlé de l'impact des politiques d'austérité. Et la question des inégalités fiscales et de la redistribution a réellement été mise à l'agenda politique. »
Pour autant, la responsable déplore que les politiques d'austérité, loin d'être mises à mal, se soient durcies au fil du temps : « Plusieurs années après la crise financière, on pensait que la courbe de la redistribution allait pouvoir repartir à la hausse, mais ce n'est pas le cas. Lorsque l'on évoque la France, il y a cette idée d'une aspiration à l'égalité, et l'on s'imagine que c'est l'un des pays les plus égaux. Pourtant, c'est le troisième membre de l'OCDE dans lequel les inégalités ont le plus augmenté ces dernières années. Voilà qui en dit long sur la tendance en France et en Europe. »
Le rapport présenté aujourd'hui s'inscrit dans une vaste campagne de lutte contre les inégalités lancée au mois d'octobre 2014. L'ONG espère que ce travail lui donnera plus de poids auprès des décideurs nationaux et européens, à l'heure où seuls les principaux acteurs de l'économie ont, selon eux, voix au chapitre.
Le rapport, à consulter dans son intégralité:
« Une Europe au service de la majorité, et non d'une élite »
Loup Espargilière