Dans un peu moins d'un mois, 17 étudiants de l'ENACR (Ecole nationale des Arts du cirque de Rosny-sous-Bois) et leurs professeurs s'envoleront pour les Philippines dans le cadre du projet « C'est Quoi ce cirque ?». Depuis cinq ans, l'ENACR et l'association CAMELEON ont mis en place une thérapie par le cirque pour les petites filles victimes d'abus sexuels.
Des petites filles de CAMELEON s'étirent lors d'un atelier cirque. Crédit : DR/ CAMELEON
Se construire un autre soi. Se réapproprier son corps en jonglant, en grimpant à un mât chinois, ou encore en jouant aux funambules pour retrouver le fil de leur vie. C'est ce que propose l'association CAMELEON pour venir en aide aux petites filles abusées sexuellement aux Philippines.
« Le cirque c'est d'abord un outil pour libérer la parole, pour les aider à se réapproprier leur corps, leur image et enfin à s'exprimer en public », explique Laurence Ligier, la fondatrice de l'association. Se produire devant des milliers de personnes lors des spectacles de cirque au mois de mai, relève de la gageure pour ces filles abusées sexuellement. Aux Philippines, elles sont rejetées et considérées comme des parias. Le silence qui entoure ces actes ne permet pas de statistiques exactes car seuls sont répertoriés les cas dont ont connaissance les services sociaux. En 2010, les violences sexuelles constituent les abus les plus fréquents envers les enfants, après l'abandon.
Source : Ministère des Affaires sociales et du Développement philippin (DSWD)
Fondée en 1997 par Laurence Ligier, CAMELEON est une association de solidarité internationale, implantée à Passi City, dans la région des Visayas Occidentales. Elle a pour but la réhabilitation, la reconstruction et surtout la réinsertion de petites filles abusées dans la société. Ces dernières sont les principales victimes de violences sexuelles.
Source : Ministère des Affaires sociales et du Développement philippin (DSWD)
Les petites filles, qui arrivent dans l'un des deux centres de l'association y vivent pendant trois ans minimum. Même lorsqu'elles le quittent, elles sont encore suivies jusqu'à l'université. Le soutien dure entre 10 et 20 ans, une longévité qui fait la particularité de CAMELEON. L'important est de donner les clés à ces petites filles pour se réinsérer durablement dans la société. Et cela passe entre autre par les ateliers cirque.
Complicité et confiance
Depuis cinq ans, Luc Richard, directeur pédagogique de l'ENACR de Rosny-sous-Bois et quelques-uns de ses étudiants dispensent trois semaines de stage durant le mois de mai à la soixantaine de filles bénéficiaires de CAMELEON. A l'issue de ce stage, les filles se produisent dans un centre commercial, qui rassemble plus de 5000 personnes. Cette année, le projet prend de l'ampleur. 17 étudiants circaciens se déplacent pour un spectacle à Manille, la capitale.
Au contact de ces étudiants, qui sont pourtant majoritairement des hommes, les petites filles s'ouvrent et nouent une réelle complicité avec les circaciens. Paradoxalement, en trois semaines, elles développent une relation bien plus profonde avec eux qu'avec les volontaires « plus classiques ». Lucie Lastella, élève à l'ENACR, est allée aux Philippines en mai 2014. Pour elle, « la confrontation entre la pudeur que la culture philippine possède et le travail du corps maîtrisé, exhibé et libre qu'est le cirque » est ce qui l'a le plus marquée dans cette expérience.
Lucie Lastella fait une démonstration de roue cyr devant des petites filles philippines, bénéficiaires de CAMELEON. Crédit : DR/ CAMELEON
Le cirque nécessite de la concentration, de la solidarité, l'ouverture aux autres. Les petites filles l'apprennent et pourront convertir ces acquis lorsqu'elles seront réinsérées dans la société. Mais c'est surtout la valorisation et l'estime de soi, que confère le cirque, qui permet le travail thérapeutique. « Avec le cirque, je m'aperçois que je suis capable de faire quelque chose, même si je ne pensais pas avoir ce talent avant. Je peux dire au monde entier que je fais quelque chose dont je peux être fière », témoigne une des jeunes filles, qui réside dans un centre de CAMELEON. La rigueur, l'impact physique, l'investissement que demande la pratique du cirque, permet à ces jeunes filles de comprendre que leur corps n'est pas juste bon à jeter. « Les progrès réalisés grâce au cirque ne sont pas quantifiables, analyse une des 35 salariés de CAMELEON aux Philippines. La fille ne fait plus qu'un avec elle-même ». A l'image du caméléon, le symbole de l'association, les jeunes filles se transforment, jusqu'à trouver leur propre identité.
Laurine Personeni
Crédit Photo bandeau : DR/CAMELEON