Vous êtes ici

Aux élections européennes de 2019, le Grand-Est a voté deux fois plus écolo qu’au scrutin de 2014. Un succès pour Europe Ecologie-Les-Verts (EELV), mais qui ne vaut pas pour tout le territoire, pour plusieurs raisons.

Avec 13,47% des voix, Europe Ecologie-Les-Verts (EELV) est devenu en mai dernier le troisième parti de France lors des élections européennes. La liste portée par Yannick Jadot a été plébiscitée au niveau national mais aussi plus localement. Dans le Grand-Est, les Verts enregistrent 102% de voix de plus qu’en 2014.

Un électorat jeune et citadin

Le vote vert est d’abord citadin. A Reims, Metz ou Nancy, le score des écologistes est toujours supérieur à la moyenne du Grand-Est. Dans la capitale alsacienne, EELV dépasse même les 20% des suffrages exprimés. Ce qui donne sur la carte un vert bien foncé comparé à la clarté des campagnes champenoises.

« Le vote vert n’a jamais été un vote rural », explique Marine De Lassalle, professeure de sociologie politique à l’IEP Strasbourg. « Les écologistes critiquent le mode de vie agricole, les pesticides, la chasse… Dès lors, l’écologie politique est bien plus populaire en ville. » Cette concentration du vote vert dans les métropoles de la région s’est même accentuée en 2019 par rapport aux élections européennes précédentes.

La fracture entre Grand-Est des villes et Grand-Est des champs s’explique en partie par des différences du niveau de revenu par habitant. La moitié des communes les plus pauvres, en grande partie rurale, ont voté vert à 5,9%. Pour la moitié des communes les plus riches, ce chiffre grimpe à 9,3%. 

« Les électeurs écologistes viennent des couches moyennes salariées : ils travaillent plutôt dans l’éducation, la culture, la santé ou le travail social , poursuit Marine De Lassalle. Mais ils ont davantage de capital culturel que de capital économique ». Ce ne sont donc pas forcément les personnes les plus aisées qui votent Europe Ecologie-Les-Verts. Preuve en est : le dixième des communes les plus riches ont moins voté écolo que celles à peine moins fortunées qu’elles.

Lecture : Les 10% les plus pauvres des communes ont voté en moyenne 5,8% pour EELV

Marine De Lassalle voit aussi un impact de l’économie sur le scrutin. Après la crise de 2008, une partie du Grand-Est a peiné à se redresser. Seule épargnée : l’Alsace. Soit la région qui a voté le plus pour EELV. « Dans les autres départements, le vote sert plutôt à exprimer l’angoisse du déclin économique, industriel voire démographique », conclut la professeure. Donc moins pour EELV.

Autre facteur de la concentration des bulletins verts en ville : la jeunesse. Le vote écolo est une tendance typique des jeunes aux européennes selon Romain Lachat, chercheur au CEVIPOF, le laboratoire de recherche de SciencesPo : « Ces électeurs sont attirés par des forces politiques plutôt nouvelles car ils n’ont pas d’attachement fort aux partis traditionnels. »

« Le flou de la gauche » profite aux Verts

Dans les urnes, les partis traditionnels de droite comme de gauche ont été malmenés. Notamment le Parti socialiste, en chute libre : la liste portée par Raphaël Glucksmann n’a recueilli que 5,2% des suffrages. Il perd 61,6% des électeurs par rapport au précédent scrutin européen.

Cet effondrement a-t-il profité à EELV ? Pour Romain Lachat, un transfert de voix s’est bel et bien opéré au sein même des partis de gauche, au profit d’un vote écolo : « La gauche était autrefois pourfendeuse d’un électorat ouvrier. Puis elle a attiré d’autres électeurs, qui correspondent au profil des votants EELV de 2019. » 

« Le fait qu’il y ait peu d’offres puissantes à gauche - mis à part la France Insoumise - a sans doute amené à cette hausse des votes EELV », abonde Marine De Lassalle. Mais la chercheuse n’explique pas le succès des Verts par le seul effondrement du PS : « Les électeurs de gauche sont aussi attirés par l’offre écologique, qui est un enjeu grandissant dans la société. » Comme le montrent les récentes manifestations mondiales pour le climat.

A Kolbsheim et Wittelsheim, un vote galvanisé par les mobilisations locales 

En Champagne-Ardenne, territoire essentiellement rural, la liste conduite par Yannick Jadot a récolté seulement 8,7% des suffrages exprimés. Loin du score obtenu par EELV dans le sud de la Haute-Marne, qui se rapproche de la tendance nationale. 

Au Val-d’Esnoms notamment, village de 375 habitants, EELV a obtenu 22% des voix, contre 26,1% en 2014. « A l’époque, les électeurs ont pu voter pour EELV parce qu’ils me connaissaient », explique Patricia Andriot, première adjointe au maire du Val-d’Esnoms, qui était en troisième position sur la liste des Verts du nord-est en 2014. « Ils votaient pour un candidat proche de chez eux. » Malgré une baisse en 2019, Patricia Andriot explique l’ancrage des Verts sur le territoire par le développement d’initiatives en faveur de l’environnement, tel la création d’un parc national dans les prochaines années. 

Ailleurs, les Verts récoltent dans les urnes le fruit de fortes mobilisations citoyennes locales contre des projets d’infrastructures jugées peu écologiques. C’est le cas à Kolbsheim, petite commune proche de Strasbourg et haut lieu de protestation contre le projet de Grand Contournement Ouest (CGO). EELV y a obtenu 45% des voix, le plus fort taux du Grand-Est. Cet « effet GCO » s’observe également dans les 21 autres communes situées sur le tracé du chantier, où EELV est la deuxième ou troisième force politique.

Les résultats du parti vert dans les communes concernées par le centre d’enfouissement de déchets toxiques Stocamine vont aussi dans ce sens. EELV recueille près de 11% des suffrages à Wittelsheim, ville qui abrite l’infrastructure. Un score en dessous de la moyenne nationale, mais en forte augmentation : 50% de plus par rapport à 2014. 

A Bure, EELV ne convainc pas 

Mais l’existence de mobilisations écologiques sur un territoire ne se conjugue pas toujours avec un soutien des habitants aux partis verts. Preuve en est : aux confins de la Meuse, près de la Haute-Marne, le vote EELV est rare alors que le projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo suscite d’importantes protestations de militants venus d’ailleurs.

Dans la commune de Bure, devenue symbole du conflit, les écologistes n’ont récolté aucun vote en 2014. Et deux seulement en 2019, soit 6,5% des voix des 63 inscrits. Dans les territoires voisins non plus, les Verts n’ont pas fait florès. Sauf à Couvertpuis, où le maire Sébastien Legrand ne cache pas son opposition à l’enfouissement des déchets radioactifs : EELV ramasse ici 32,65% des votes.

Mais dans ce territoire vieillissant, rural et peu peuplé, où le Rassemblement National est arrivé en tête, « beaucoup d'habitants plutôt opposés à Cigéo n'ont pas pour autant voté EELV », note Sébastien Legrand. « Les européennes sont un vote d’enjeu national qui ne témoigne pas d’une prise de position pour ou contre le projet local d'enfouissement », avance Stéphane Martin, président de la communauté de communes des Portes de Meuse. 

Toujours est-il que le laboratoire de Meuse/Haute-Marne de recherche sur le stockage des déchets nucléaires procure des emplois locaux. « Parmi un bon nombre de familles, au moins un membre y travaille », explique Irène Gunepin, responsable EELV du sud de la Meuse et militante de « Bure Stop ». « Forcément, ils ne vont pas voter Vert. »

Surtout, l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), qui gère le projet depuis près de 20 ans, gratifie chaque année le département de dizaines de millions d’euros, par le biais de groupements d’intérêt public. Un « dédommagement » assumé par l’agence, qui a su se rendre indispensable, quand Europe Ecologie-Les-Verts réclame une sortie du nucléaire.

Un miroir franco-allemand

Les électeurs alsaciens ont plus largement voté EELV que les frontaliers lorrains. Un constat qui s’applique aussi côté allemand, où les électeurs badois - voisins des Alsaciens - ont massivement voté pour le parti Bündnis 90/ Die Grünen [équivalent allemand d’EELV, ndlr], contrairement aux Saarois et aux Rhénans.

Rien de surprenant : le long de la frontière entre le Bade-Wurtemberg et l’Alsace, plusieurs villes prospères économiquement sont marquées par leur ancrage international – Strasbourg avec les institutions européennes ou Kehl avec ses événements franco-allemands. « Les habitants vivent ici l’esprit européen : ils travaillent dans un pays et habitent dans l’autre, ils font des courses dans le pays voisin et ils ont des amis de l’autre côté du Rhin », explique le spécialiste politique, Sebastian Jäckle, de l’Université de Fribourg-en-Brisgau. « Certains votent pour l’extrême droite, quand d’autres voient les avantages d’une vie transfrontalière et veulent garder de bonnes relations. Ce sont eux qui votent pour les partis Verts européanistes, EELV et Bündnis 90/ Die Grünen. »

La situation est différente à la frontière entre la Lorraine, la Sarre et la Rhénanie-Palatinat. Ces anciennes régions minières souffrent d’une mutation économique aux effets parfois négatifs pour leur développement et leur population. Ainsi, le taux de chômage est élevé : 6,2% dans la Saare, quand l’ensemble de l’Allemagne est à 3,1%. « L’esprit européen et ses effets bilatéraux positifs y sont moins importants que dans les régions du Bade-Wurtemberg et de l’Alsace », développe Sebastian Jäckle. Déçu de la politique, l’électorat traditionnel de gauche a préféré se tourner ici, par défiance, vers l'extrême droite.

Nicolas Arzur, Judith Barbe, Estelle Burckel, Sarah Chopin, Aurélien Gerbeault, Marine Godelier, Mariella Hutt

 

Comment nous avons procédé

Pour réaliser cet article, centré sur la région Grand-Est, nous avons utilisé les données communales des résultats des élections européennes 2019 en France. Pour l'Allemagne, ce sont les résultats à l'échelle du district. Les frontières avec le Luxembourg, la Belgique et la Suisse ont été volontairement exclues de l’étude pour limiter la comparaison à la France et l'Allemagne, notamment en raison des taux importants de voix en faveur des écologistes en Alsace et dans le Bade-Wurtemberg.

Nous avons également eu recours aux données des élections antérieures, de 1994 à 2014, pour visualiser l'évolution des voix françaises en faveur des listes écologistes et socialistes.

Nous avons croisé le fichier 2019 avec différentes variables : le revenu médian, la catégorie socio-professionnelle, le niveau de diplômé et l'âge des populations pour chaque commune – variables croisées qui n'ont pas toutes été retenues dans l'article final. Les données fusionnées sont disponibles à cette adresse.

Imprimer la page