Le terme de “lanceur d’alerte” revient régulièrement dans la presse depuis quelques années. Mais que signifie-t-il vraiment ? Éléments de réponses avec trois spécialistes de la question.
Alors que les journaux emploient régulièrement l’expression “lanceur d’alerte”, trois spécialistes apportent des précisions sur ce phénomène en expansion.
Antoine Peillon est journaliste à La Croix et auteur du livre “Ces 600 milliards qui manquent à la France”, une enquête au cœur de l’évasion fiscale. Florence Hartmann, ex-journaliste au Monde, est l’auteure du livre “Lanceurs d’alerte”. Nicole Marie Meyer est chargée des questions de l’alerte éthique pour l’ONG anti-corruption Transparency International.
Florence Hartmann : En France, on estime que le terme de “lanceur d’alerte” est apparu en 1996, inventé par les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny de l’EHESS. C’est une transposition du concept américain de “whistleblower”, inventé par Ralph Nader au début des années 1970, qui désigne le coup de sifflet que peut donner le citoyen pour arrêter un acte illégal. Dans la définition donnée par les deux sociologues, le lanceur d’alerte peut aussi être une ONG, un militant, un journaliste ou un chercheur. Cette distinction s’explique par le contexte des alertes sanitaires et environnementales dans lequel se trouvaient les chercheurs à l’époque. Quelques années plus tôt, il y avait eu l’explosion du réacteur de Tchernobyl et les dangers de l’exposition à l’amiante commencaient à faire parler. Aujourd’hui, cette distinction entre “whistleblower” et “lanceur d’alerte” n’a plus lieu d’être.
Nicole Marie Meyer : À Transparency International, on considère qu’un lanceur d’alerte est “un individu, témoin d’actes illicites ou dangereux pour autrui dans le cadre de son activité professionnelle, qui décide d’alerter les autorités ayant le pouvoir d’y mettre fin."
Antoine Peillon : Il y a une nouvelle catégorie de salariés citoyens, de fonctionnaires citoyens, qui du fait de leur éducation, du fait d'une évolution de la culture et des mentalités n'acceptent plus d'être dans une discipline implacable de confidentialité, de secret quand ils constatent qu'il y a des faits qui heurtent leur conscience. Autrefois, dans les entreprises, les réactions étaient collectives. Aujourd’hui, elles sont plus individuelles, et ce n’est pas forcément péjoratif.
Nicole Marie Meyer : Ces lanceurs d’alerte émergent avec une crise sociale et morale, à un moment où le contrôle démocratique est devenu important.
Antoine Peillon : Cela se passe très souvent de la même façon. Dans un premier temps, le lanceur d'alerte contacte sa propre hiérarchie. Chez UBS (banque suisse sur laquelle il a enquêté, ndlr.), ça a été le cas. Tous ces salariés, souvent des cadres, cadres supérieurs, se sont d’abord tournés vers leur direction générale. Mais, première déception, ils se rendent compte que leur propre direction est en fait complice de ces délits. Ils le comprennent quand ils voient le manque de réaction voire le fait qu'on commence à leur mettre des pressions ou à les sanctionner.
Quand ils s'obstinent, ils se tournent vers les autorités de contrôle. Il y a des administrations qui sont chargées du contrôle de certains secteurs économiques. Les gens que j’ai rencontrés à UBS se sont tournés vers l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et là, deuxième déception, l'administration ne voulait pas les entendre.
Alors, quand ils voient que ni les autorités de contrôle ni leur hiérarchie ne réagit, que le délit continue, ils se tournent vers les journalistes. C’est pour eux la dernière chance de faire connaître la vérité, et surtout le dernier espoir que le problème se règle en émergeant dans le débat public.
Nicole Marie Meyer : Il faut faire attention à la confusion des genres. Il y a des professionnels de l’alerte (avocats, journalistes, ONG, etc.) d’un côté, et de l’autre les lanceurs d’alerte, qui sont, pour moi, des citoyens ordinaires faisant leur devoir.
Florence Hartmann : Le journaliste va avoir des sources qu'il ira solliciter lui-même. Ici, le lanceur d'alerte est celui qui déclenche l'intérêt du journaliste sur une question particulière. Le lanceur d'alerte est le déclencheur d'un véritable sujet.
Propos recueillis par Romain Geoffroy
Photo bandeau : Justin Ling/Flickr