Interview – Stephen des Aulnois est le fondateur et rédacteur en chef du Tag parfait, un site d'informations entièrement consacré à l'univers de la pornographie. A tout juste 30 ans, @Desgonzos, comme il se nomme lui-même sur Twitter, se fait le porte-parole d'une génération qui a grandi avec ce genre et en assume l'usage.
De 17% en 2005, le nombre de Français ayant surfé sur un site X a été multiplié par trois et demi en 10 ans pour atteindre 60% en 2014. Que vous inspire les résultats de ce sondage Ifop ?
« Pour commencer, il faut bien noter qu'il s'agit d'un sondage, et non d'une enquête. Ensuite, il faut souligner que le sondage en question a été commandé par un tube [site qui propose de visionner en streaming des vidéos pornographiques, sur le modèle de Youtube NDLR] appelé TuKif. On est face à un plan marketing, à de la publicité déguisée. A partir de là, ces chiffres, et la soi-disante explosion de la fréquentation des sites porno qu'ils révèlent, doivent être pris avec des pincettes.
Une étude qui aurait du sens mettrait ainsi en parallèle le taux de fréquentation de ces sites avec le taux de pénétration d'Internet dans les foyers français. Pour résumer, on consomme aussi plus de porno parce que tout le monde a désormais accès à Internet. »
Admettons que ces chiffres sont sur-évalués. Pour autant, ne révèlent-ils pas une libération de la parole en la matière de consommation de films pornographiques ?
« C'est indéniable oui, la parole s'est libérée. Et c'est tant mieux, c'est un tabou de plus qui saute. Les gens en parlent plus facilement et le porno est mieux accepté dans notre société, il n'est plus cette production sulfureuse qu'on s'échangeait sous le manteau. Les tubes expliquent ce phénomène de désacralisation : ils ont facilité l'accès aux contenus X. Avant, dans la génération de nos parents, chacun avait sa petite collection de films et sa pile de magazines qu'éventuellement on se prêtait entre amis.
Aujourd'hui, les gens passent d'une vidéo à une autre, d'une scène, d'une situation excitante à une autre. C'est ce "zapping" permanent qui explique aussi le piteux état économique dans lequel se trouve aujourd'hui l'économie du porno en France. Le cinéma pornographique français est dans la même situation que le cinéma tout court face au géant américain : comment résister et comment survivre ? La majeure partie des films en ligne sont des productions américaines.
Ensuite, en tant que fondateur et rédacteur en chef du Tag parfait, cette libération de la parole, je l'observe tous les jours. C'est aussi pour ça que le site fonctionne : on parle à la place des gens, notamment des jeunes. Et pas uniquement des hommes puisque au moins 25% de nos lecteurs sont des lectrices. Et dans quelques années, je suis certain que ce sera 50-50. »
Source : sondage Ifop "Le porno, ses adeptes et leurs complexes" / Crédit : O.M.
Le sondage s'intéresse justement aux jeunes. Ainsi, 34% des moins de 25 ans ayant déjà vu un film X auraient développé un complexe sur la taille de leur pénis. Doit-on en déduire que la pornographie peut être dangereuse sur le plan psychique ?
« Il y a une chose qui doit être dite : la pornographie a toujours existé, elle a toujours été là. Le seul changement, encore une fois, c'est qu'elle est plus visible, le streaming l'a popularisée. Moi j'ai 30 ans, ça fait presque 10 ans que je regarde des films X, depuis la création du désormais célèbre Youporn en 2006.
En vérité, c'est la même logique qui est à l’œuvre quand on dit que ce sont les jeux vidéos qui rendent violents. C'est totalement absurde. Donc non, le porno ne rend pas déviant. Il y a des addictions, que ce soit au sexe globalement ou au porno plus spécifiquement, mais comme toutes addictions, elles s'expliquent parce que la personne malade souffre d'une fragilité. Je ne doute pas que des gens "soient malade du porno", ça doit exister. Mais comme il y a des gens qui sont accros au Coca-Cola... Et ils ne sont qu'une extrême minorité. Des experts de la question en parleraient mieux que moi. »
Stephen des Aulnois témoigne de la banalisation de la pornographie dans notre société contemporaine mais conteste l'impact négatif qu'aurait ce genre sur la sexualité des Français, notamment des plus jeunes. Crédit : O.M.
Dans l'imaginaire collectif, le porno est souvient synonyme de violence. Or, le sondage révèle que 47% des Français (52% des hommes) ayant déjà vu un film X disent avoir reproduit des positions vues à leur écran. Vous y croyez ?
« C'est l'exemple parfait du chiffre qui me semble sur-évalué. Une question se pose : les personnes qui disent cela, reproduisent-elles ces positions de manière consciente, délibérée ? Parce que moi, je n'ai pas eu besoin de voir un film porno pour essayer la levrette... Le porno n'a rien inventé !
Ceci étant dit, il y a un autre cliché qu'il faut battre en brèche : non, le porno n'est pas nécessairement violent. Il y a une dimension poétique incontestable. Beaucoup d'amateurs, ou simples consommateurs, regardent des scènes douces, proches d'une sexualité "quotidienne" si je puis dire. La réalité est un formidable levier d'excitation. Pour preuve, l'image de la porn-star aux proportions irréelles se perd. La starlette d'aujourd'hui, c'est la fille qui vit sur ton palier, c'est ta voisine d'immeuble.
A cet égard, l'essor, assez récent d'ailleurs, des "sex-cams" montre bien que le réel excite. Et puis il ne faut pas faire du porno ce qu'il n'est pas : le porno ne cherche pas à être pédagogique, les acteurs et les réalisateurs ne cherchent pas à véhiculer une vision particulière du sexe. Pour eux, c'est un travail comme un autre. Il n'est pas question d'idéologie. »
Propos recueillis par Olivier Mougeot
"Le porno, ses adeptes et leurs complexes...", sondage Ifop sur la consommation des films X sur Internet et son influence sur les pratiques corporelles et sexuelles des Français pour tukif.com sur un échantillon de 1 003 personnes âgée de 18 ans et plus et sélectionnées selon la méthode des quotas. Les interviews ont eu lieu par questionnaire auto-administré en ligne.