Débarqué des États-Unis il y a une vingtaine d'années, le porno féminin veut changer les codes du porno de l'intérieur et redorer l'image de la femme.
Beaucoup de choses sont dites autour du porno. L'objet n'en finit pas de susciter les passions. L'une des nombreuses polémiques qui gravite autour de la "porn-galaxie",voudrait que les films pour adultes soient avant tout une affaire d'hommes. « Un produit fait par des hommes et pour des hommes », commente David Courbet, jeune journaliste à l'AFP qui s'est intéressé à la question dans un livre intitulé Féminisme et pornographie (La Musardine, 2012).
Source : sondage Ifop "Porno : ce que veulent les femmes" / Crédit :O.M.
Les amateurs du genre traditionnel - « et donc masculins », précise David Courbet - le savent bien : ce qui compte pour faire un bon porno, c'est le respect d'une mise en scène : « Baisers, fellation, cunnilingus, pénétrations (2 ou 3 positions), sodomie et, pour conclure, éjaculation, souvent faciale ». Tout au long de la scène, la femme est alors relayée au rang d'objet « que l'homme prend dans tous les sens. Son plaisir à elle n'entre absolument pas dans l'équation », analyse l'auteur. Et si certaines se satisfont des productions déjà existantes, d’autres, mais également certains hommes n’y trouvant pas leur compte, souhaitent découvrir quelque chose de différent, de nouveau. « Tout comme il existe une multiplicité des fantasmes, des productions alternatives essayent de répondre à cette demande en mettant davantage en exergue le désir féminin. La femme ne devient plus passive mais au contraire, est à l’origine de la scène de sexe », explique David Courbet.
Politique et récupération commerciale
Initié depuis les années 80 aux États-Unis et apparu il y a une vingtaine d'années en France, ce mouvement de « libération de la femme » est communément appelé "porno féminin". Contrairement à un autre courant féminin totalement abolitionniste à l'égard de la pornographie, il est porté par des figures du X : d'anciennes actrices reconverties aujourd'hui en réalisatrices. La plus connue d'entre-elles est sans nul doute Ovidie dont le dernier film, sobrement intitulé Pulsions, a été diffusé sur Canal + le 5 avril.
La logique de ce genre, c'est encore elle qui l'explique le mieux sur son blog : « Le porno féministe ne se contente pas de vouloir plaire à un public féminin. Il est aussi chargé de revendications, et souhaitent déconstruire les stéréotypes. » Et de qualifier son travail de « politique ». « Après tout, les femmes aussi ont droit à leur porno, à voir leurs fantasmes incarnés à l'écran ! »
Autre idée reçue contre laquelle s'insurgent les spécialistes du genre : non, le porno féminin n'est pas forcément doux. « Il va du film romantique au film franchement hard, voire SM. Ce n'est pas le contenu qui change mais la façon de mettre en scène. Les jeux de lumière, la qualité des dialogues, la fin des gros plans sur les pénétrations, l'abandon de l'éjaculation triomphante, la caméra qui continue de filmer après que l'acte sexuel en lui-même soit fini, etc. sont autant d'éléments qui caractérisent le genre », poursuit David Courbet.
Source : sondage Ifop "Porno : ce que veulent
les femmes" / Crédit : O.M.
Le problème avec les mouvement alternatifs, c'est qu'ils « finissent par être dévorés par la grande industrie », selon le journaliste. Pour preuve, un sondage en 2012 mené par l'Ifop, sur commande du géant de l'industrie du porno qu'est le site dorcel.com. Les chiffres sont éloquents : « Les Françaises souhaitent voir évoluer un genre cinématographique qui souffre encore, à leurs yeux, d’un manque de professionnalisme (79%) et d’une vision de la sexualité reflétant des fantasmes trop masculins (71%) et des pratiques très éloignées de la réalité (79%). » Il n'en faudra pas plus pour que Marc Dorcel lance dans la foulée sa déclinaison féminine, dorcelle.com.
Du côté de la boîte de production, on se félicite d'avoir su « saisir l'opportunité en plein vol », d'après les propres termes du directeur général, Gregory Dorcel. « Il y a encore une dizaine d'années, les femmes ne constituaient que 30% de notre public, aujourd'hui, on dépasse les 50% », assure-t-il. Pour ce qui est des chiffres engrangés par cette activité, silence radio. Et David Courbet de conclure : « C'est le jeu. Même si ce site ne correspond pas aux revendications du porno féminin, ça montre que les choses sont quand même en train d'évoluer et tendent vers une amélioration de l'image de la femme. »
Olivier Mougeot