Il est bien loin le temps des cassettes que l'on s'échangeait sous le manteau, lorsque la pornographie se cachait du grand public. D'après un récent sondage Ifop, le genre se serait banalisé, notamment chez les plus jeunes.
Xhamster, Red tube, Youporn,... Si ces noms ne vous disent rien, c'est que vous ne faites pas partie des 60% de Français ayant déjà surfé sur un site classé X au cours de leur vie. Selon un récent sondage de l'Ifop, ce nombre a été multiplié par trois et demi en un peu moins de 10 ans.
Si la consommation de porno a plus que triplé, c'est parce que ce genre a su profiter de l'essor d'Internet. Selon les estimations, 14% des recherches et 4% des sites web sont dévoués à la pornographie. « Internet a clairement facilité l'accès aux contenus X, notamment les sites gratuits de streaming », commente François Kraus, responsable d'études à l'Ifop.
Dans la barre de recherche Google, il suffit de taper "porno" et c'est alors "environ 270 000 000" résultats qui sont consultables. Capture écran / O.M.
Outre les sites X, le porno infiltre aussi les forums "santé" ou "psycho" et alimente les conversations de nombreux internautes, souvent des femmes qui expliquent s'inquiéter de la place grandissante qu'il occupe dans la vie de leur partenaire.
Preuve aussi de cet essor : l'apparition de sites spécialisés traitant l'actualité de la "porn-galaxie", comme letagparfait.com, créé il y a quatre ans par Stephen des Aulnois. « La parole se libère et le genre se banalise », observe ce dernier dont le site revendique 300 000 visites par mois.
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Une marchandise comme une autre
Cette plus grande visibilité de la pornographie intrigue. A commencer par les sites eux-mêmes, qui, en faisant appel à des sondeurs, espèrent mieux cerner le phénomène. Et donc proposer des contenus plus adaptés à ce que les consommateurs attendent. Le sondage de l'Ifop que nous relayons en est la meilleure preuve puisque commandé par TuKif.com, un site de streaming. « Le porno est devenu une marchandise comme une autre », note François Kraus.
Le géant du porno, dorcel.com avait déjà recouru à l'Ifop en 2012 afin d'en savoir plus sur la consommation des femmes en la matière. Avec, à la clé, la création de dorcelle.com, un site censé répondre aux attentes des femmes en matière de X.
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Outre la consommation en tant que telle, c'est aussi l'influence du genre sur les pratiques sexuelles qui intéresse. Le sondage publié mi-avril fournit plusieurs données à ce sujet. Ainsi apprend-on que près d'un Français sur deux ayant déjà visionné un film X dit avoir reproduit des positions qu'il a vues sur son écran d'ordinateur. Ou encore que 63% des hommes de moins 25 ans préfèrent que leur partenaire opte pour une forme d'épilation intégrale, apanage des « porn-actrices ».
Ces chiffres viennent à l'appui des arguments des anti-porno. Habitué des plateaux télé, Jean-Paul Brighelli, fervent défenseur de l'érotisme – qu'il oppose à la pornographie –, dénonce « la société pornographique » dans son dernier ouvrage éponyme publié en 2012. Caractéristique de cette société ? Le porno « est devenu une norme et, en général, la norme c'est nocif ». Et d'argumenter que dans le porno tout est faux, que ce soit l'histoire racontée ou les corps exposés.
Selon lui, le X impose des gestes automatiques et des habitudes de consommation. Il induit des comportements violents et « pourrit la sexualité ». Pire, le porno serait responsable d'une épidémie d'addictions.
Rassurer les patients
Le témoignage en janvier d'un certain Paul B., dans les colonnes virtuelles du Plus, médiatise davantage le débat. Il y raconte comment il est devenu accro au porno, comment il a perdu pied et mis en danger sa vie de famille et son mariage en invitant son épouse, sans qu'elle le sache, à une partie à trois, avant finalement d'y renoncer. Le témoignage est édifiant et a alimenté les conversations dans les milieux spécialisés. Stephen des Aulnois, lui, n'y croit guère : « N'importe qui peut écrire sur Le Plus [qui est une plate-forme de blog du Nouvel Observateur] et quand on s'intéresse à ce fameux Paul, on se rend vite compte qu'il s'agit d'un marchand de rêve. Il y a une idéologie anti-porno derrière tout ça, il crée un problème pour vendre une solution », affirme ce fervent défenseur du genre.
Patrick Papazian est sexologue à Paris. Lui ne remet pas en doute la sincérité et la souffrance exprimées, mais affirme que l'addiction reste un phénomène marginal que d'autres études viennent contester. « Sur la question, aucune donnée scientifique fiable n'existe, regrette le médecin. C'est aussi pour ça que les sondages privés prolifèrent. » Et de commenter : « Contrairement aux addictions classiques, l'addiction au porno ne se mesure pas en termes quantitatifs mais en termes qualitatifs. Le temps passé sur les sites, ainsi que le nombre fois où ils sont consultés, importent peu. Par contre, le malade est celui qui ne peut s'empêcher d'y aller mais qui, à chaque fois, en ressort encore plus frustré. »
Également médecin pour l'association SOS Addictions, il côtoie au quotidien des « malades du sexe ». Mais pas que. Beaucoup de ses patients sont des hommes qui, après voir visionné un contenu classé X, ont « besoin d'être rassuré. Je dois sans cesse rappeler que le porno est l'exception. Les sexes démesurés et les rapports sexuels qui durent plus d'une heure ne sont pas la norme dans la vie réelle. » Ses patients « ponctuels », comme il les appelle, sont victimes d'un « transfert de normes » : les fantasmes mis en scène dans les films pour adultes deviennent leurs références. Pour autant, Patrick Papazian ne s'alarme pas d'une éventuelle influence du porno dans les rapports de chacun et rappelle qu'en matière de sexualité, « il n'y a pas de normal et d'anormal ; tout est question de consentement entre deux adultes. »
17 ans et demi
Après la défense des bonnes mœurs, l'impact des films X sur les plus jeunes est l'argument généralement avancé par les opposés au genre, comme Jean-Paul Brighelli pour qui « le porno corrompt l'esprit de nos chères têtes blondes en leur faisant croire qu'ils doivent jouir trois fois et que leur partenaire doit se laisser éjaculer sur le visage. »
Jean-Paul Brighelli, invité à un numéro consacré au sexe de l'émission Ce soir ou jamais. Crédit : Youtube
Pourtant, les jeunes ne sont pas aussi pervertis que le laissent penser les antiporno, affirme Michel Bozon, sociologue et directeur d'études à l'Institut national d'études démographiques (Ined). « L'âge du premier rapport sexuel change peu, 17 ans et demi, rappelait-il dans une interview au Monde en mai 2012. En revanche, l'âge du premier baiser profond s'est fortement abaissé, vers 14 ans. Les adolescents connaissent donc [...] une initiation progressive aux relations au corps de l'autre. Quant aux films pornographiques, ils ne sont pas une nouveauté […] les adolescents les considèrent comme du cinéma […] surtout associé à des pratiques masturbatoires. Mais dans les années 50-60, les garçons se masturbaient au même âge qu'aujourd'hui. »
Pas de quoi diaboliser le X, donc. « On découvre avec l'essor de la pornographie que Monsieur tout le monde a des pensées sexuelles au quotidien et certains s'en offusquent voilà tout », résume Patrick Papazian.
Olivier Mougeot
Eclairage :Le corps médical s'accorde sur ce point : le seul moyen de parer le risque d'addiction est de sensibiliser, surtout les jeunes. C'est une question d'éducation. « Et en matière d'éducation sexuelle, on ne peut pas faire confiance au système scolaire », regrette Patrick Papazian. Il y a deux ans, l'Institut national d'éducation et de prévention pour la santé (INPES), a développé un site s'adressant aux jeunes : onsexprime.fr sur lequel les adolescents sont invités à témoigner, à parler de sexualité, entre-eux ou avec des experts. "Toujours vierge, et alors ?", "L'amour : les hauts et les bas", "(Se) faire plaisir", sont quelques-unes des rubriques à la disposition du curieux en quête d'une information fiable. Une web-série intitulée Les puceaux, a même été créée. Le spectateur suit les aventures d'une bande d'amis sur six épisodes d'environ 5 minutes dans toutes leurs premières fois, du premier rapport sexuel à la découverte de la pornographie.
L'épisode 5 consacré à la rencontre avec le X. Crédit : Youtube « La série est bien faite,la sexualité y est abordée sérieusement, avec les mots justes, pas de manière naïve comme c'est le cas à l'école. Beaucoup de mes patients n'ont pour seuls souvenirs des cours d'éducations sexuelles que des bananes coiffées d'un préservatif ! », s'amuse Patrick Papazian. O.M. |