En conférence à Strasbourg, l'actrice est revenue sur son parcours marqué par les violences sexuelles et sa prise de parole devant le milieu du cinéma français.
Judith Godrèche en conférence au centre L'Aubette à Strasbourg, dans le cadre du festival Les Bibliothèques Idéales, le mercredi 25 septembre 2024. Photo : Élodie Niclass
"J’étais une enfant très solitaire, qui écrivait beaucoup." Devant une salle comble réunie à l’occasion du festival littéraire strasbourgeois Bibliothèques Idéales, Judith Godrèche, 52 ans, se confie sur son enfance. L’actrice et réalisatrice française aborde notamment sa relation, qu’elle décrit pudiquement comme "abusive", avec le réalisateur Benoît Jacquot lorsqu’elle avait 14 ans. Elle revient aussi sur le tournage du film La Fille de 15 ans de Jacques Doillon, qu’elle accuse aujourd’hui de viol après un long chemin pour libérer sa parole.
Celle qui est devenue une figure du mouvement #MeToo écrivait déjà en 1989 un roman mettant en scène une jeune femme sortant d’une rupture avec un compagnon beaucoup plus âgé. Judith Godrèche assure ne pas avoir eu l’ambition de transmettre un message à travers son écriture. Son roman Point de côté, elle préfère le résumer ainsi : "C’est une histoire d’amitié entre une femme de 21 ans et une petite fille."
"On ne peut pas forcer la parole"
Judith Godrèche poursuit ensuite sa carrière au cinéma et passe près d’une décennie à Los Angeles. "Je suis partie vivre aux États-Unis, mais la France m’a rattrapée. Une amie m’a envoyé Le Consentement de Vanessa Springora en me disant qu’il fallait absolument que je le lise", révèle-t-elle. L’actrice commence sa lecture, mais doit aussitôt s’arrêter. "Trop de similarités avec ce que j’avais vécu", souffle-t-elle. On lui propose d’écrire à son tour un livre, ce qu’elle refuse : "On ne peut pas forcer la parole. Il y a quelque chose de viscéral, tellement de constructions psychiques qui l’empêchent…"
En 2023, elle réalise une mini-série Arte, Icon of French Cinema, inspirée de sa vie d’actrice. Elle y joue son propre rôle aux côtés de sa fille Tess Barthélémy. Ce n’est qu’après la promotion de la série qu’elle décide de porter plainte, en février 2024, contre Benoit Jacquot et Jacques Doillon. Une décision difficile pour Judith Godrèche, qui décrit un sentiment de solitude au moment de témoigner contre des monstres du cinéma. "Les personnes qui m’ont violée n’étaient pas des personnes rejetées ou qui se cachaient, explique-t-elle. On accuse quelqu’un qui a un groupe d’amis, quelqu’un qui peut être drôle, généreux…"
"Après les Césars, j’ai reçu beaucoup de témoignages"
Elle souffre alors des discours qui remettent en cause son vécu. "Ça met en colère qu’on parte du principe qu’une fille de 14 ans ment. Une enfant n’a rien à gagner à raconter ce qu’elle a vécu avec un adulte, insiste-t-elle. Si on commence par remettre la parole de ces enfants en question, on est mal barré. Dire aux victimes qui ont le courage de parler que ce sont des menteuses, c’est d’une violence inouïe", ajoute-t-elle.
En réalisant le court-métrage Moi aussi, elle réaffirme son rôle de porte-parole des violences sexuelles : "Après les Césars, j’ai reçu beaucoup de témoignages. Je me suis demandée : qu’est-ce que je fais de ces appels au secours ?" Judith Godrèche décide alors de tourner un court-métrage en rassemblant près de 800 personnes dans la capitale. "J’ai proposé aux personnes qui m’ont écrit de venir à Paris", précise-t-elle. Présenté en mai dernier au Festival de Cannes, Moi aussi est depuis la rentrée diffusé en salle avant des longs-métrages.
Élodie Niclass
Édité par Gabrielle Meton